Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Pour discuter de l'œuvre de Tolkien et des jeux des Terres du Milieu (y compris Tiers Age).

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Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Usher »

Je poursuis donc sur ce fil la discussion qui s'était engagée dans le fil Je ne suis pas content car…
Oswald a écrit : 23 janv. 2025, 08:52 Si je résume, corrige-moi si je me trompe, le désir de l'auteur de bâtir une mythologie moderne l'oblige à bâtir des récits qui doivent s’interpréter pour être pérennes.
Tout à fait. La plasticité culturelle et historique d'un récit est la condition essentielle de sa pérennité. Sans cela, il ne peut devenir un mythe. Il est d'ailleurs intéressant de noter que très tôt, Tolkien a eu une approche de son Legendarium que l'on qualifierait aujourd'hui d'intermédiale : "Je comptais faire un récit complet de certains des principaux contes et seulement placer de nombreux autres dans la structure, sous forme d'ébauches. Les cycles seraient liés à un tout majestueux et dans le même temps laisseraient le champ libre à d'autres esprits et à d'autres mains, pratiquant le dessin, la musique et le théâtre. Absurde." (Lettre à son éditeur, Stanley Unwin, 10 septembre 1950.) Or Tolkien a beau qualifier d'"absurde" son projet, il s'est réalisé en tout point, y compris dans des formats auxquels il n'avait pas pensé, comme le cinéma, la série, le jeu de rôle, le jeu vidéo…
Belphégor a écrit : 25 janv. 2025, 09:47 Tolkien à un peu raison, car en ce sens l'auteur est démiurge au sein de son récit et donc en ce sens il est impossible pour lui "d'avoir tort", mais il est par définition impossible d'échapper à "l'allégorie" car tout récit est naturellement le reflet de la façon dont son auteur perçoit le monde, en ce sens la terre du milieu reste un monde où l’inspiration chrétienne est perceptible.
Quelques nuances.
D'abord, il est tout à fait possible pour un auteur d'avoir tort dans son récit. Il peut commettre des erreurs – c'était d'ailleurs une des raisons des multiples réécritures pratiquées par Tolkien et des relectures faites par son fils Christopher. Ensuite, un auteur peut revenir sur ce qu'il a écrit et se donner tort a posteriori, pour des raisons idéologiques, religieuses ou esthétiques. L'histoire littéraire ne manque pas d'exemples de ces repentirs : Virgile avait demandé qu'on détruise l'Enéide après sa mort ; Kafka avait fait de même pour une grande partie de son œuvre, par exemple pour Le Château. Fort heureusement, leurs exécuteurs littéraires n'en ont rien fait. Plus près de nous, Catherine Dufour a raconté avoir détruit tout ce qu'elle avait écrit avant trente ans. Sans aller jusqu'à détruire leurs œuvres, certains auteurs les renient ou les désavouent. C'est le cas de Jean de La Fontaine, qui abjure ses contes et ses fables deux ans avant sa mort pour des raisons religieuses.

Ensuite, il convient d'opérer une distinction entre la subjectivité et l'allégorie. La subjectivité des œuvres d'art est inévitable, puisqu'elles portent de fait la marque de la personnalité de l'artiste. Pour autant, cela n'en fait pas systématiquement des allégories. Qu'elle soit figure de style ou genre artistique, l'allégorie relève d'une démarche délibérée. Si elle est fréquente en art, elle est loin d'être systématique. Pour faire simple, elle relève d'une conception utilitariste de la littérature : l'œuvre au service d'un message. Mais il existe d'autres conceptions de la littérature, comme l'art pour l'art, qui rejette justement l'œuvre à message au nom de la prééminence du beau.
Tolkien, quant à lui, ne s'inscrit pas dans ces deux perspectives. Sa formation et sa carrière universitaire lui donnent une approche herméneutique des textes, c'est-à-dire une approche analytique où l'interprétation est fondée sur un mélange d'examen méthodique et de spéculations créatives. Quand il produit une œuvre, il envisage donc probablement de laisser sa liberté herméneutique au public. Cette liberté n'est pas non plus la validation de tous les délires : elle repose sur la capacité critique autant que sur les facultés de l'imagination. L'applicabilité ne relève pas d'un relativisme sans frein, mais plutôt de la plasticité polysémique d'une œuvre. Le sens doit s'y trouver, pas seulement s'y trouver plaqué.
Belphégor a écrit : 25 janv. 2025, 09:47 Je reste cependant sceptique face au concept "d'applicabilité" ou encore de "mort de l'auteur" car ses défenseurs sous entendent souvent que toutes les interprétations se valent, ce que je considère comme étant comme de la folie pure et simple. Que dirait Tolkien de ses fans néo-nazis alors qu'il me semble que certains de ses enfants étaient enrôlés contre les séides du moustachu ? Et maintenant que j'y pense Tolkien n'a t'il pas connu les bombardements de Londres par les démons de la Luftwaffe ?
Sur le nazisme, Tolkien s'est peu exprimé mais il a été très clair : il a regretté de ne pouvoir donner un certificat de judéité à un éditeur allemand antisémite qui lui réclamait un certificat d'aryanité et il a évoqué la haine qu'il éprouvait pour "ce petit ignorantus d'Hitler". Soit dit en passant, s'il a rencontré des difficultés pour écrire le Seigneur des Anneaux, c'est parce qu'il consacrait une partie de ses nuits aux tours de garde de la défense civile à Oxford.
Toutefois, Tolkien a également très clairement signifié que Le Seigneur des Anneaux n'était pas une allégorie de la Seconde Guerre mondiale – et que s'il avait été influencé par une guerre, ç'aurait plutôt été par la découverte de la guerre industrielle dans les tranchées de la Somme.
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Oswald »

Merci Usher pour la création de ce fil de discussion,c'est effectivement plus adapté.

Ta citation m'amène à plusieurs réflexions.

Tout d'abord, l'auteur laisse volontairement des zones d'ombres dans l'histoire afin de stimuler l'imagination et encourager la spéculation tel que je le comprends. C'est une phénomène qui a, d'après mes constatations empiriques, donc faillibles, pour effet de provoquer de nombreux échanges entre les lecteurs voire les fans. Chez Tolkien, mais aussi pour les forums autour de Lost (pour citer un autre medium) ou Le Trone de Fer.

Par ailleurs, j'ai aussi l'impression qu'il y a depuis plusieurs années une forte croissance des "loremasters" sur internet et notamment sur Youtube. Des passionnés qui font des vidéos explicatives, récapitulatives ou spéculatives par très pointues. J'en écoute beaucoup y compris sur des oeuvres que je méconnais de première main comme Elden Ring par exemple. C'est pour moi un format qui s'ajoute encore à ceux dont tu parles Usher, puisqu'il s'agit là d'exégèses. J'ignore si le terme est le plus approprié.

Enfin Usher, qu'elle est ta conception à toi ? J'ai l'impression que tu t'orientes vers l'utilitarisme si j'en crois la publication que tu as faite suite aux élections, et l'imprégnation machiavélienne qui hante Gagner la guerre mais peut-être que je me trompe ?

Pour l'applicabilité, cela m'amène aussi à un autre point, c'est la capacité du public à ne pas saisir le propos de l'auteur. De ce côté là, je pense principalement à F. Herbert qui s'étonnait que ses lecteurs de Dune ne saisissent pas qui était vraiment Paul Atreides et voyaient en lui un héros. A mon sens, c'est l'autre auteur le plus impacté par le fil de la discussion dans le monde l'imaginaire, le pendant "science finctionnesque" de Tolkien même si Anne Besson le qualifie de Fantasy. Il me semble toutefois plus direct dans son approche, Dune étant ouvertement beaucoup plus politique que l'oeuvre de Tolkien.
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Usher »

Aux phénomènes faniques que tu évoques, Oswald, on peut ajouter les fan-fictions, qui s'inscrivent dans la dynamique plus ancienne des réécritures. Les possibilités offertes par internet permettent en fait le développement de pratiques communautaires dont les formes anciennes se manifestent depuis des siècles. C'est particulièrement vrai dans la littérature médiévale : la matière de Bretagne a été, et reste plus que jamais, l'objet de cette réception herméneutique et créative.

En ce qui concerne mes textes, Les Fauteurs d'ordre est effectivement un apologue et appartient à la littérature engagée. Tolkien le classerait dans l'allégorie qu'il déteste tant parce que la création de cette fiction avait pour intention délibérée une prise de position politique.
En revanche, ce n'est pas le cas pour Gagner la guerre, pas plus que pour les autres romans que j'ai pu publier à ce jour. Je rappellerai brièvement la raison pour laquelle je m'inspire (très librement) de Machiavel dans Gagner la guerre. Quand j'ai conçu le projet de ce roman, j'ai demandé à mes premiers lecteurs quel personnage de Janua vera ils avaient préféré. Cette mini-étude de marché avait certes un objectif utilitaire : définir le sujet qui aurait le plus de chances de plaire au public et donc d'être accepté par un éditeur. Il y allait donc d'une démarche commerciale, nullement d'une démarche engagée. Une fois Benvenuto retenu par mes primo-lecteurs, il m'a fallu définir mon sujet et mon angle. De façon assez classique, j'adosse presque toujours mes fictions à des influences littéraires. Il m'est apparu presque aussitôt que raconter les aventures du séide d'un patricien dans une cité inspirée d'une république de la Renaissance italienne me ramenait irrésistiblement au Prince de Machiavel. Cela m'a donc donné l'angle du roman : un jeu, assez peu sérieux du reste, avec la pensée machiavélienne. Mais en aucun cas Gagner la guerre n'est un apologue ou un roman à thèse. Les personnages et l'intrigue y suivent la pente (à la fois drôle et inquiétante) donnée par l'angle machiavélien, mais le lecteur est libre d'en tirer, ou non, ses propres conclusions. En ce sens, l'applicabilité faisait partie des ambitions qui ont contribué à la composition du roman. Ce qui le vérifie d'ailleurs, ce sont les remarques d'un certain nombre de lecteurs qui sont gênés par le fait que l'auteur ne dénonce jamais les nombreux crimes commis par le protagoniste.
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Oswald »

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Je l'avais totalement omis celui-ci, tout comme le wiki qui va avec le précédent exemple que j'ai mentionné.

Merci pour le détail de ton approche. Du reste, il est vrai que pour ce qui est de l'applicabilité pure et non tolkienienne de Janua Vera, j'avoue recycler la méthodologie pour traiter les priorités du Podestat. À mon sens, les reproches et remarques faites comme quoi l'auteur ne dénonce pas les crimes du protagoniste sont le résultat de ce qui arrive à Clarissima. S'il le fait c'est parce que le bagout rend le protagoniste sympathique et la sympathie lui fait oublier sa vraie nature. Le reste, les meurtres, les combines etc. le public ne s'en offusque pas par accoutumance. Un point hors topic mais qui découle de ton propos : Si tu t'adosses toujours à des fictions littéraires, cela veut dire qu'un texte sur Elyssa s'orientera naturellement vers une influence ottomane par exemple ?

Pour revenir au sujet principal après ce détour, cela m'amène à une autre réflexion, est-ce à rapprocher de la position d'Umberto Eco pour qui une œuvre culte est une œuvre qui déborde d'intertextualité ?
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Usher »

Oswald a écrit : 28 janv. 2025, 19:56 Un point hors topic mais qui découle de ton propos : Si tu t'adosses toujours à des fictions littéraires, cela veut dire qu'un texte sur Elyssa s'orientera naturellement vers une influence ottomane par exemple ?
Tout à fait. D'ailleurs, dans les annexes de l'édition "de luxe" (en fait, l'édition augmentée) de Janua vera, la lettre du chah Eurymaxas au duc Ganelon de Bromael est en fait un pastiche d'une lettre de Soliman le magnifique à François Ier.
Oswald a écrit : 28 janv. 2025, 19:56 Pour revenir au sujet principal après ce détour, cela m'amène à une autre réflexion, est-ce à rapprocher de la position d'Umberto Eco pour qui une œuvre culte est une œuvre qui déborde d'intertextualité ?
Bien sûr. Pour reprendre l'exemple du Seigneur des Anneaux, il s'agit d'une œuvre qui s'illustre par deux formes d'intertextualité. Le roman est riche d'une intertextualité interne, qui lui donne son effet de profondeur, puisqu'il s'appuie sur toute une tradition littéraire qui, pour être fictionnelle, n'avait rien de fictif, dans la mesure où il s'agissait des poèmes et des contes du Silmarillion, mais aussi de l'histoire du Hobbit. Toutefois, cette intertextualité interne était elle-même le fruit d'une intertextualité externe, dans la mesure où l'œuvre de Tolkien est fondée sur de nombreuses références à la littérature classique et médiévale. Pour ne citer que quelques exemples, les trois âges du monde renvoient à la pensée de Joachim de Flore, la submersion de Numenor au mythe de l'Atlantide, le Livre Rouge de la Marche de l'Ouest est une allusion au Livre Rouge de Hergest (qui vient de l'ouest puisqu'il est gallois), la chanson d'Aragorn sur Eorl (Les Deux Tours, livre III, chap. VI) est inspirée de The Wanderer, poème du Xe siècle qui inspira également W.H. Auden quelques années avant Tolkien… Cette mise en abyme intertextuelle, en multipliant les jeux d'écho entre littératures des mondes primaire et secondaire (pour reprendre un concept tolkienien), donne une épaisseur particulière au récit romanesque.

Cela étant, un chef d'œuvre littéraire comme Le Seigneur des Anneaux tire également sa force poétique d'autres caractéristiques.

Son esthétique est particulièrement raffinée, que ce soit dans sa composition entrelacée (qui est également intertextuelle puisqu'inspirée par le roman médiéval), dans sa forme prosimétrique, dans son mélange des styles et des registres de langue.

Je ne reviendrai pas sur sa polysémie. Elle est au cœur de l'applicabilité tolkienienne.

En revanche, ne perdons pas de vue la réflexivité ludique et virtuose du roman. Une œuvre réflexive est une œuvre qui se prend, au moins partiellement, pour son propre sujet. L'incipit du prologue est d'emblée réflexif, puisqu'il commence par ces mots : "Ce livre traite dans une large mesure des Hobbits" et précise quelques lignes plus bas : "La présente histoire a pour origine les premiers chapitres du Livre Rouge composé par Bilbo lui-même". Mais la réflexivité du Seigneur des Anneaux ne se contente pas de ce pastiche d'établissement érudit d'une édition. Le livre passe, à l'état de manuscrit, des mains de Bilbo à celles de Frodo, puis de celles de Frodo à celles de Sam. Le Seigneur des Anneaux met donc en scène sa propre genèse fictionnelle. Une autre mise en abyme ludique apparaît dans Les Deux Tours. Au chapitre VIII (livre III), comme Théoden s'étonne de découvrir deux hobbits en train de fumer dans les ruines de l'Isengard, Merry commence un long exposé sur l'herbe à pipe qu'interrompt Gandalf. Or ce que dit Merry dans le deuxième tome est un passage à peine modifié de la deuxième partie du prologue, "De l'herbe à pipe", et plus précisément… de l'introduction de l'Herbier de la Comté composé (après l'action du roman) par un certain Meriadoc Brandebouc ! De façon beaucoup plus pathétique et beaucoup plus développée, Frodon et Sam s'interrogent sur l'intérêt des histoires, puis imaginent comment sera racontée leur propre histoire (Les Deux Tours, Livre IV, chapitre VIII). L'effet de la mise en abyme est démultiplié quand on réalise que ces personnages qui s'imaginent devenir des personnages de conte sont également les futurs auteurs du récit que lit le lecteur. En outre, on notera le parallélisme entre les deux livres du tome II, précisément intitulé Les Deux Tours, puisque c'est dans les deux chapitres VIII du volume que se trouvent ces jeux réflexifs. Là encore, ils contribuent à créer des effets d'échos et d'intertextualité interne qui renforcent la profondeur de la fiction. (Et la richesse de l'entrelacement.)
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par kynan² »

Tu ne t'adresses pas qu'à Oswald, je pense qu'il y a une large audience qui lit attentivement, c'est passionant.
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Oswald
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Oswald »

Usher a écrit : 30 janv. 2025, 10:27 Tout à fait. D'ailleurs, dans les annexes de l'édition "de luxe" (en fait, l'édition augmentée) de Janua vera, la lettre du chah Eurymaxas au duc Ganelon de Bromael est en fait un pastiche d'une lettre de Soliman le magnifique à François Ier.
Oui je me souviens, je l'avais lue dans Matière de Léomance. J'avais toutefois plus à l'esprit le Logocrate et les contes des Mille et unes nuits par exemple.
Usher a écrit : 30 janv. 2025, 10:27 Pour reprendre l'exemple du Seigneur des Anneaux, il s'agit d'une œuvre qui s'illustre par deux formes d'intertextualité. Le roman est riche d'une intertextualité interne, qui lui donne son effet de profondeur, puisqu'il s'appuie sur toute une tradition littéraire qui, pour être fictionnelle, n'avait rien de fictif, dans la mesure où il s'agissait des poèmes et des contes du Silmarillion, mais aussi de l'histoire du Hobbit. Toutefois, cette intertextualité interne était elle-même le fruit d'une intertextualité externe, dans la mesure où l'œuvre de Tolkien est fondée sur de nombreuses références à la littérature classique et médiévale.
Bien que n'ayant lu que La Légende de Sigurd et Gudrún, je me souviens que plusieurs auteurs ayant pris Tolkien pour sujet évoquent le suicide de Denethor sur un bûcher funéraire qui, tel Sardanapale, ne veut que rien ne lui survive malgré les mots de Gandalf le blanc qui tente de l'en empêcher toute en faisant référence à des rois païens. C'est le premier exemple qui m'est revenu en tête comme exemple intertextuel tolkienien, qui renvoie vers un autre britannique qu'est Lord Byron. Par ailleurs, une autre couleur s'invite sur la toile, c'est la notion de monde secondaire et monde astérisque de Shippey que nous avions évoqué il y a quelques temps déjà. À mes yeux, il est amusant de se dire que la Terre du Milieu est sensée être la nôtre il y a longtemps mais que l'auteur s'inspire du passé pour créer un passé plus ancien encore. Ainsi pour reprendre l'exemple de Denethor, ce ne serait plus une référence à Sardanapale mais bien Sardanapale qui serait une référence à Denethor. Ce qui donne le vertige, c'est de se dire qu'une lecture ne permettra de découvre qu'un fragment de l’œuvre si un jour je me lance dans la découverte du Seigneur des Anneaux ou, et c'est plus vraisemblable, dans Les Enfants de Húrin. Certains easter eggs m'échapperont mais c'est ainsi.

Après, l'intertextualité, n'est-ce pas devenu le propre d'une œuvre de fantasy ? Ce que je veux dire par là, c'est que Tolkien est l'un des pères du genre et a entrainé un bon nombre de copies plus ou moins proches, plus ou moins lointaines qui ont eu un succès relatifs mais parmi les plus grands, sur des supports ludiques différents de l'objet livre : je dirais Warhammer et Warcraft en tête. Difficile d'échapper à l'intertextualité, si les œuvres cultes au sens de Eco en sont riches, elle n'est pas suffisante.

J'y reviens mais plus cette conversation avance plus l'écho entre Tolkien et Herbert me semble fort tant on y retrouve des points communs, Dune cite à chaque début de chapitre qu'il s'agisse de la Bible Catholique Orange, d'Irulan ou de Paul Atréides. Ce nom seul est un écho intertextuel à la tragédie grecque qu'est Dune, entre famille maudite et volonté de déjouer un futur que Paul va accomplir malgré lui, victime d'une ironie dramatique. On retrouve bien les deux intertextualité interne et externe que tu mentionnes et effectivement cela lui donne un effet de profondeur.

Ce qui me frappe aussi, c'est que tout cette littérature de genre renvoie à la littérature blanche.
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par A.Fontbonne »

Virginia Woolf à propos de l'intertextualité au niveau des mots eux-mêmes
et en plus on l'entend qui parle !
https://www.youtube.com/watch?v=E8czs8v6PuI

la transcription : https://www.speech.almeida.co.uk/words-fail-me
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Oswald »

Je lis actuellement L'anatomie du scénario de John Truby car oui, j'ai craqué en le feuilletant. Cela ouvre des perspectives pour du JDR mais aussi des débats, notamment les échanges que nous avons dans cette conversation. Je l'avais déjà mentionné, mais j'ai maintenant plus de matière à vous partager. Il s'inscrit en frontal de Tolkien quant à l'applicabilité.

Page 167, il écrit quelque chose : « Le thème n’est pas le sujet de l’histoire. Le thème, c’est le point de vue de l’auteur sur la façon dont il convient d’agir dans la vie. C’est votre vision morale. Dès que vous présentez un personnage en usant de moyens pour parvenir à une fin, vous présentez un problème moral explorant la question de l’action juste et défendez une position morale sur ce que vous considérez comme la meilleure façon de mener sa vie. Votre vision morale est totalement originale, et partager ce point de vue avec un public est l’un des buts principaux de toute narration. »

Se pose également la question de la récupération d'un avis tranché ? Ce qui m'ennuie avec une telle approche, c'est qu'on peut questionner sans avoir de réponse.
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Re: Applicabilité tolkienienne & récupération idéologique

Message par Usher »

Oswald a écrit : 16 févr. 2025, 20:56 Page 167, il écrit quelque chose : « Le thème n’est pas le sujet de l’histoire. Le thème, c’est le point de vue de l’auteur sur la façon dont il convient d’agir dans la vie. C’est votre vision morale. Dès que vous présentez un personnage en usant de moyens pour parvenir à une fin, vous présentez un problème moral explorant la question de l’action juste et défendez une position morale sur ce que vous considérez comme la meilleure façon de mener sa vie. Votre vision morale est totalement originale, et partager ce point de vue avec un public est l’un des buts principaux de toute narration. »
Il est peut-être sincère en écrivant cela. Moi, je lis surtout en filigrane la nécessité de donner un vernis utilitaire au scénario pour assurer sa rentabilité, d'abord en convainquant des investisseurs, ensuite en préparant une exégèse prête-à-diffuser pour la promotion du produit.
Quand on écrit une note de concept pour décrocher des financements, on doit préciser quel est le "message" de l'œuvre. Bref, la morale, c'est souvent le cache-sexe de l'argumentaire de vente… :?
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