Jadis ..

[LeonideCaracole]

une discussion sur ce forum entre MacBesse et Usher évoquait quelque chose de caché dans l'épisode de Bourg Preux de Gagner la guerre. J'ai depuis lu et relu et rerelu et le roman et le chapitre mais n'y ai jamais rien trouvé, sans doute par manque de références ou d'acuité. Quelqu'un aurait-il quelques éclaircissements à ce sujet ?

[Usher]

Sur le sujet, voir la troisième partie de ce mémoire : L'Elfe comme figure d'auteur dans le cycle du Vieux Royaume.

[Godo]

Effectivement, il me manquait moi aussi quelques outils. En tout cas, je me suis régalé.

[Caracalla]

Ce fil tombe bien, une des théories du mémoire de master rappelé ci-dessous étant directement liée à mon propos.

J'ai terminé la trilogie du Chevalier aux épines.
J'ai aimé, tout en étant tout à fait frustré par le troisième tome — je comprends du coup le malaise de certains qui voulaient lire (juste?) une aventure.
Mais là n'est pas la question.

En refermant le bouquin, j'avais la franche impression d'avoir manqué quelque chose. J'ai lu (a peu près) tout ce qui a été édité sur le Vieux Royaume, mais sur un temps long (presque 15 ans). Comme je relis peu & que j'ai une mémoire des impressions, non des détails des noms (euphémisme pour dire que j'ai une mémoire de poisson rouge), j'ai cru qu'une information, dissimulée dans un précédent roman m'avait échappé. J'ai par conséquent écumé la toile avec une recherche par mots clefs tels que "explication chevalier épines" "sens caché jaworski" etc.

Effectivement, un ou deux éléments m'avaient échappé, mais une chose m'étonne surtout : il y a très peu de glose du roman (il est vrai qu'il n'est pas sorti il y a longtemps). Il ne faut pas être malin pour dire qu'il y a une histoire sous l'histoire sous l'histoire … mais quasiment aucune interprétation n'est avancée sur la toile, aucune supposition, pas d'exégèse.

Est-ce pudeur parce que l'auteur est toujours vivant ? Crainte d'être détrompé par le prochain roman ? manque d'imagination des lecteurs ?
À ce rythme, la pirouette finale* du roman risque de faire un flop.
(si ce que j'ai compris est ce qu'il fallait comprendre mais, après tout, une fois publié le roman appartient au lecteur …)

*ce n'est pas le bon mot, mais comme je ne veux pas divulgacher, nous nous contenterons de celui-là.

[Usher]

Un mois après la publication du dernier tome, c'est très court, y compris pour de simples recensions du roman, sans parler d'exégèse. Surtout à propos d'un texte long et potentiellement déceptif, qui peut provoquer des réactions de frustration avant un hypothétique regain d'intérêt.
A titre de comparaison, il a fallu attendre onze ans après la publication de Gagner la guerre pour que la cadence elfique soit dévoilée par le mémoire de Vinciane Passeiro. (Et un mois après la sortie du roman, il n'y avait pas beaucoup de recensions.)

[Caracalla]

Oui, c'est moi qui veux aller plus vite que la musique …
Je n'y avais jamais pensé, mais quelle frustration ce doit être d'être un auteur, à attendre que les lecteurs prennent conscience de tel ou tel message, de telle ou telle invention de forme … (le coup de la cadence, sans une étude universitaire du texte, je doute qu'un lecteur en ait pris conscience !)

Quoiqu'il en soit pour en revenir à la dernière trilogie, il y a des trous à combler dans l'histoire … j'dis ça j'dis rien …

[Usher]

Au contraire : aucune frustration de l'auteur, mais plutôt le plaisir du voleur de La Lettre volée, à avoir maquillé l'objet du délit tout en le laissant bien évidence sous les yeux du public, sans parler du plaisir de la connivence qui s'établit avec les lecteurs qui réussissent leur test de TOC.
C'est très bien qu'un texte conserve des facettes cachées. Cela participe à (l'illusion de) l'épaisseur de la fiction, du message ou de sa poétique. Quand des lecteurs résolvent ce genre d'énigme, cela donne un second souffle à l'œuvre et peut provoquer un regain d'intérêt.

[Shizen]

A titre de comparaison, il a fallu attendre onze ans après la publication de Gagner la guerre pour que la cadence elfique soit dévoilée par le mémoire de Vinciane Passeiro. (Et un mois après la sortie du roman, il n'y avait pas beaucoup de recensions.)

Je ne sais pas vraiment quoi en penser, mais à la lecture des dialogues des elfes dans Gagner la guerre ou tes différentes nouvelles, l'aspect rythmique m'avait semblé "évident". Je mets des guillemets parce que je ne l'avais pas vraiment relevé explicitement, mais je me souviens l'avoir lu comme de la poésie, en rythmant ma lecture malgré la présentation en prose.

Donc comme je disais : qu'en penser ? Déjà que c'était effectivement bien écrit ^^

[kynan²]

La cadence elfique (que je viens de découvrir, même effectivement j'avais bien pressenti qu'il y avait "un truc" avec le mode d'expression des elfes, sans réussir à mettre le doigt dessus), appliquée rigoureusement mais jamais expliquée, c'est du génie.
Je suis certain qu'il y a encore des trouzaines de petits trucs internes invisibles à nos yeux, mais que JPJ a planquées dans ses textes... On peut s'attendre à tout.
Quant au background, il y a des non-dits, dûs à l'histoire de ce cadre de jeu des choses qui ont une cause qu'on ne connait pas, mais qui existe quand même.
Bref, toujours fan.

[LeonideCaracole]

Tout d’abord Merci ! Beaucoup !

La cadence sonne aux oreilles du lecteur, cela paraît simple, mais la complexité, la richesse et la profondeur du travail qui se cache derrière était indécelable pour le simple technicien assez peu frotté de littérature que je suis.

J’ai beaucoup aimé Gagner la guerre, et Janua Vera. Je les ai lus au moins 20 fois et 8 fois, avec toujours autant de plaisir, et d’avoir ce genre d’ajouts rend les lectures suivantes d’autant plus agréables, et nouvelles.

Pour ceux qui ont aimé la Horde du contrevent, c’est un peu comme la relire après avoir lu « Ainsi parlait Zarathoustra » ou écouté une conférence d’Etienne Klein sur E=mc².

Je me suis aussi permis cette question directe sur ce forum, car l’échange d’alors avec MacBesse m’était apparu déjà d’un niveau trop élevé pour ma compréhension, et surtout parce qu’il date.

J’attendrai patiemment quelques années avant de revenir sur la trilogie du Chevalier aux épines. Peut-être la partie II du mémoire de Vinciane P. aura été enrichi et étendu.

[Usher]

Merci pour ce retour de lecture. Ou de relectures ! Je suis aussi flatté qu'impressionné ; je me sens même un peu coupable, à vrai dire…

Très bien vu, le lien entre la deuxième partie du mémoire et Le Chevalier aux épines. C'est effectivement la même logique de mise en abyme avec un récit enchâssé finissant par déborder sur le récit cadre. Tel était aussi le procédé employé dans Comment Blandin fut perdu, avec une indétermination finale assez proche.

[LeonideCaracole]

Les déambulations de Coël puis de la fine équipe d’Aedan dans le château de Vayre m’ont un peu rappelé Blandin. Les petits motifs sur les murs qu’il faut regarder de près pour y discerner un sens ou une menace caché. J’ai eu une impression un peu morbide en parcourant Vayre, alors que Blandin paraissait fou.

Si l’auteur des récits du Vieux Royaume est coupable de quoi que ce soit, c’est bien d’avoir créé un monde si riche et si bien raconté qu’on s’y perd avec joyeuseté (, un peu de frustration nécessaire) et donc qu’on y revient !

Feu mon libraire m’a toujours dit « il faut relire ! ». Lorsqu’il m’a conseillé de lire Borges, je n’y ai pas compris grand-chose, mais j’ai adoré. Il disait apprendre de Borges, même en le relisant pour la 50e fois, et à 60 ans passés.

[Godo]

Les elfes comme figures d'auteur, d'accord. Je me dis qu'ils pourraient très bien décidés de fictionaliser leur vie. En gros, faire de leur vie réel un roman, en étant personnage de leur vie, ce qui les pousse un peu à chercher l'aventure. On est un peu dans le bovarysme.

Seulement il y a un petit problème méta. Les elfes ne sont pas les auteurs de leur vie, c'est Usher. Sauf si Usher les autorise à décider de leur destin de personnage de temps en temps. Quand on y pense, il faudrait deux choses. Que Usher soit un dieu dans le Vieux-royaume, et que la magie elfe soit d'origine divine. Quelle magie en effet, un personnage qui soudoie son auteur !

[Caracalla]

J'ai une autre théorie que m'inspire la fin de l'ouvrage : il manque un sommet à ton triangle.
À côté de l'auteur, des personnages, il y a aussi le lecteur … j'ai bien l'impression que lui aussi est pris dans les filets de l'histoire …
C'est d'ailleurs à mon avis le coup de génie du livre, qui me faisait dire qu'il ne s'agissait pas d'une simple aventure.

[Oswald]

Quand on y pense, il faudrait deux choses. Que Usher soit un dieu dans le Vieux-royaume, et que la magie elfe soit d'origine divine. Quelle magie en effet, un personnage qui soudoie son auteur !

Je profite de la boutade pour parler Magie et théorie dans l'univers du Vieux Royaume et surtout tambouille du grand tambouillardissime. Attention, si vous n'avez pas lu Gagner la guerre, passez votre chemin, spoiler droit devant. Je vais également citer longuement (mais dans la bienséance du droit de courte citation) pour étayer une théorie portant sur les deux fils de la via Strettina, énigme non résolue semble-t-il à ce jour et avancer quelques éléments concernant la magie. Usher en rira peut-être sous cape (et derrière son écran) mais ça me turlupine depuis quelques années cette affaire-là, et je pense qu'on entre clairement dans "l'épaisseur de la fiction, du message ou de sa poétique.". C'est sans doute aussi l'une des forces du Vieux Royaume, ces ficelles et ses boites mystères qui font délicieusement spéculer les lecteurs, un peu comme les fans de Lost en leur temps.

Je citerai en chapitre puisque les paginations varient entre le grand format, le poche, Matière de Léomance etc.

Tout d'abord nous apprenons en V. Ciudalia que Clarissima confie à Benvenuto :

Mais il n’était pas là quand Sassanos a annexé tout le troisième étage de l’aile Zecchina. Il y passait l’essentiel de ses nuits, à organiser de drôles de sarabandes. Des fois, on aurait dit qu’ils étaient vingt, là-dedans. Et puis une nuit, toute la maison a été réveillée ! Il y a eu un grand choc sourd, pas très bruyant, mais qui a fait trembler les murs comme un coup de bélier. Juste après, le palais tout entier s’est mis à puer ! Une véritable infection, on aurait cru que des tombereaux d’ordures avaient été versés dans la cour. Ça a passé assez vite, mais c’était si fort que j’en avais les yeux qui pleuraient. Et le plus beau, c’est que le lendemain matin, une nef noire a quitté Dessiccada pour amener des prêtres du Desséché au port, et ils sont montés tout droit ici. Sassanos s’est retiré avec eux, ils ont parlé pendant plus d’une heure. Je ne te parle pas de l’état des domestiques : ils étaient terrifiés. J’ignore ce que Sassanos a raconté aux Embaumeurs de Dessiccada, mais c’est à ce moment que j’ai décidé de l’espionner.

Dans chapitre VII. Principes, de Corvilio, voici ce qui est porté à notre connaissance :

Un an plus tôt, les deux fils d’un savetier de la via Strettina avaient disparu ; phénomène malheureusement fréquent dans les quartiers pauvres ou sur la piazza Pescadilla, où des enfants des rues étaient souvent enlevés, embarqués clandestinement et revendus sur les marchés aux esclaves d’Elyssa et d’Ahawa. Mais cette affaire banale avait pris un tour inattendu, car les deux garçons venaient d’être retrouvés, quelques jours plus tôt, dans une impasse infecte proche du cloaque Azoteo. Les gamins avaient été découverts gisant sur le pavé, serrés dans les bras l’un de l’autre ; l’un des deux était mort, l’autre ne tenait plus à la vie que par un fil. Les témoins et les alguazils qui les avaient pris en charge avaient été effrayés par leurs stigmates : les deux garçons avaient eu les yeux crevés puis cousus, mais ces mutilations dataient sans doute de plusieurs mois. Pour ajouter à l’horreur, ces enfants avaient l’aspect de petits vieillards : ils étaient complètement blanchis, leur peau était livide, leurs gencives à moitié édentées, leurs mains déformées par quelque chose qui ressemblait fort à de l’arthrose. L’autre singularité venait de leur tenue ; quoique crottés, les vêtements qu’ils portaient n’étaient pas ceux de leur milieu. Il s’agissait de chainses douces, de pourpoints coquets et de haut de chausses à aiguillettes, taillés dans des étoffes luxueuses. Ces nippes hors de prix sur deux petits gueux martyrisés avaient provoqué une flambée de colère dans le quartier.

En poursuivant ainsi : je note plus loin de la bouche même de Sassanos:

En outre, je ne pratique que la Basse Magie

Par ailleurs , je relève aussi que dans XII. Exil :

« Si vous voulez, répéta-t-il avec une pointe de mépris. Ou plutôt non. Magie blanche, magie noire, cette classification n’est pas seulement vulgaire, elle est inexacte. Elle ne fait pas honneur à votre intelligence. Alors si vous tenez vraiment à savoir dans quel rituel vous avez trempé, ce que nous avons accompli, vous et moi, c’est de la Basse Magie.

— Et c’est pas de la sorcellerie ?
— Cessez de raisonner comme le rustre que vous n’êtes plus, don Benvenuto. Qu’elle soit Basse, Haute ou Vive, la magie est toujours de la théurgie. Elle procède toujours de la divinité.
— Vous voulez me dire que votre petit rituel pervers, c’est un machin religieux ?
— Dans une certaine mesure… Mais pas dans le sens où vous l’entendez. Je n’ai sollicité de nul dieu la grâce de vous transcender en champion.
— Je comprends rien à vos salades. Vous me dites que c’est divin et que c’est pas divin.
— Croyez-vous que la divinité se limite aux dieux ? »
Je remâchai un instant sa question. Le sous-entendu ne me plaisait guère.
« Je suis sans doute trop borné pour comprendre, grognai-je. Mais il y a un truc que j’ai pigé : vous lui avez volé son âme, au type qu’on a refroidi, vous et moi.
— Son âme ? Pourquoi se contenter d’une seule ?
— Pardon ? »
Il me gratifia de son sourire de hyène.
« Je lui en ai soustrait trois. C’était un minimum, pour vous redonner un peu de cœur au ventre, don Benvenuto. »

Plus loin lorsqu'il parle aux elfes de Bourg Preux, ceux-ci confient à Benvenuto :

La Basse Magie plagie le rite sans servir aucun culte : elle est fréquemment impie, ses envoûtements sont des insultes à l’ordre des religieux.

Pour résumer :
- Nous savons en V. Ciudalia, Sassanos a fait quelque chose qui a peut-être mal tourné, ce qui a attiré les disciples du Desséché avec qui il a dialogué voire marchandé.
- En VII, Principes, De Corvilio, Sassanos confie être voué à la Basse Magie, celle qui imite les rites (XII. Exil), et qu'on a retrouvé des enfants mutilés de longue date dont un mort et tous deux à l'aspect de vieillard, vêtus luxueusement. Vous me voyez venir ?
- En XII. Exil on apprend que Sassanos peut soustraire les âmes, ce qui n'étonne personne mais par contre il parvient a en soustraire 3 à une même personne. Si chacun n'a qu'une âme d'où les tenait-il les deux autres ? Enfin et cela répond en partie à la boutade de Godo, d'après Sassanos, toute magie procède de la théurgie.
Enfin on se souvient bien de comment ça se goupille dans le Palais Mastiggia entre lui et Lusinga.

Qu'est-ce que la thérugie : "forme de magie, qui permettrait à l'homme de communiquer avec les « bons esprits » et d'invoquer les puissances surnaturelles aux fins louables d'atteindre Dieu. Cette pratique s'oppose à la goétie." cette dernière étant l'invocation des démons. Dès lors, c'est l'organisation même de la Magie au sein du Vieux Royaume qui m'interpelle.