Gary Gygax dans Le Monde

[Usher]

Il est loin le temps où le jeu de rôle était une activité de pestiférés attaquée par les ligues de vertu américaines, les journalistes intègres comme Mireille Dumas ou les avocats médiatiques comme Maître Gilbert "j'ai une enveloppe avec des noms" Collard.

Le Monde consacre une série d'articles à la création de Donjons & Dragons par Gary Gygax.

[KtH]

Le deuxième chapitre est paru hier : https://www.lemonde.fr/series-d-ete/art ... 51060.html

[Cuchulain]

Articles pour les abonnés seulement. Chez nos voisins Casusiens d'en face ça râle sur les Articles. Le 1er pour le "parfois déguisé" et le 2e sur les qualificatifs à propos des participants aux conventions des Gygax JR visiblement.

[Usher]

Oui, le journaliste est parfois ironique, mais cela relève plus de la taquinerie que du sarcasme. L'orientation de sa série est nettement pro-jdr, en particulier dans les articles III et IV quand il montre comment l'activisme anti-jeu a été fabriqué.

Je trouve l'article IV particulièrement intéressant : En Croisade contre Donjons & Dragons. Revenant sur la campagne anti-Donjon, d'abord américaine dans les années 1980, puis anti-jdr en France dans les années 1990, il cite un chercheur, Joseph Laycock, dont je trouve l'analyse particulièrement éclairante.

Je vous cite quelques extraits de l'article à ce sujet :

Joseph Laycock, spécialiste de l’histoire des religions à la Texas State University, a été joueur dans sa jeunesse. Il a vécu de plein fouet ce qu’on a qualifié de « panique morale », selon un concept forgé par le sociologue Stanley Cohen, qui s’applique quand une pratique culturelle d’une nouvelle génération effraie ses devancières. Devenu universitaire à l’orée des années 2000, frappé par la rapide amnésie du pays au sujet des délires conspirationnistes de Mme Pulling [fondatrice de Bothered About Dungeons & Dragons], Joseph Laycock revisite dans son ouvrage Dangerous Games (University of California Press, 2008, non traduit), les thèses de Johan Huizinga, Roger Caillois ou encore Mircea Eliade, en rappelant la parenté entre jeu et religion. La seule certitude de tout individu étant sa disparition programmée, tout un chacun, insiste Laycock, a besoin de fiction, qu’elle soit religieuse ou ludique, pour donner du sens à sa vie.
[…]
Aussi délirantes que soient les contre-vérités assénées par les fondamentalistes chrétiens, il n’y a rien de surprenant, constate Joseph Laycock, à ce que des croyants littéralistes rejettent D&D, puisqu’ils rejettent toute fiction. Le réel étant l’œuvre de Dieu, imaginer d’autres mondes est impie. Ironie de l’histoire, les deux créateurs du jeu sont croyants.

Du coup, je serais très curieux de lire l'essai de Laycock. Le concept de "panique morale" de Stanley Cohen s'applique très bien au dénigrement (générationnel, et qui fut transitoire) du jeu de rôle. L'observation de Laycok sur la parenté entre jeu, fiction et religion rejoint complètement l'opinion que je me suis forgée sur la circulation entre ces aires de la psyché.
Il va de soi que les joueurs (en tout cas ceux que j'ai fréquentés) appartiennent à un large éventail d'opinions et de croyances. Des athées, des agnostiques, des gens sans opinion, des croyants sans pratique, des croyants pratiquants, et même des croyants avec un solide bagage théologique. (N'est-ce pas Cuchulain ; je pense aussi à un copain catholique qui avait fait une maîtrise sur la Somme Théologique de saint Thomas d'Aquin, et qui jouait avec plaisir des personnages modérés à Te Deum pour un massacre.) J'observe en revanche que les croyants méfiants ou hostiles au jeu de rôle que j'ai pu croiser étaient effectivement "littéralistes", pour reprendre l'euphémisme de l'article, sinon fondamentalistes.
J'ai aussi un cas assez singulier à l'esprit. Celui d'une connaissance un peu lointaine, un prêtre oratorien ayant une formation en philosophie et théologie, qui est aussi un tolkiendil pur jus et un auteur de SF. Ce prêtre a été aumônier dans mon lycée et s'appuyait sur Le Seigneur des Anneaux dans sa démarche pastorale ; personnellement, cela me faisait un peu grincer les dents, mais je ne pouvais pas considérer qu'il s'agissait d'une récupération trahissant le message de l'œuvre, Tolkien ayant été un auteur au catholicisme revendiqué. En revanche, ce prêtre a toujours refusé de faire une partie de jdr : non qu'il condamnait le jeu, loin de là, mais parce qu'il affirmait que s'il se lançait dans ce loisir, il serait si séduit qu'il s'y absorberait complètement. Ce qui est un autre indice, à mon sens, de la "parenté entre jeu et religion", exprimée non par un intolérant mais par un religieux conscient de la concurrence entre fiction et foi dans son psychisme.

[kynan²]

Tu es en train de me tenter lourdement de prendre un abonnement au Monde, là.

[Kérosène]

Tu es en train de me tenter lourdement de prendre un abonnement au Monde, là.

Tu fais ce que tu veux, mais leur politique clientèle m'a découragée : quand on récompense 10 ans de fidélité en augmentant sans préavis et de manière conséquente l'abonnement (qui reste au même tarif pour les nouveaux abonnés) et que le désabonnement est un parcours du combattant à base de courriers recommandés et d'échanges de courriels avec un pauvre bougre qui essaie de t'offrir 3 mois de réduction pour t'inciter à rester, il y a de quoi exaspérer même une bonne cliente comme moi.

[Oswald]

Ce prêtre a été aumônier dans mon lycée et s'appuyait sur Le Seigneur des Anneaux dans sa démarche pastorale ; personnellement, cela me faisait un peu grincer les dents, mais je ne pouvais pas considérer qu'il s'agissait d'une récupération trahissant le message de l'œuvre, Tolkien ayant été un auteur au catholicisme revendiqué. En revanche, ce prêtre a toujours refusé de faire une partie de jdr : non qu'il condamnait le jeu, loin de là, mais parce qu'il affirmait que s'il se lançait dans ce loisir, il serait si séduit qu'il s'y absorberait complètement. Ce qui est un autre indice, à mon sens, de la "parenté entre jeu et religion", exprimée non par un intolérant mais par un religieux conscient de la concurrence entre fiction et foi dans son psychisme.

Un homme assez doux qui portait une barbe noire bien entretenue mais aux golfes frontaux avancés ? Son nom m'échappe mais si c'est celui-ci, je confirme qu'il s'appuyait sur l’œuvre qui se faisait connaître auprès de la nouvelle génération avec la trilogie de 2001. Il piochait des exemples pour illustrer les 7 péchés capitaux entre autres. Encore naïf à cette époque, son exemple de Gollum avec l'anneau pour le péché de luxure échappait totalement à ma compréhension.

[Usher]

C'est bien lui. Tu en trouveras confirmation sur sa page Babelio.

Puisque nous avons hanté les mêmes murs, nous y sommes-nous juste croisés ou as-tu souffert sous ma férule ?… (Aucune obligation de répondre à ma curiosité si elle est indiscrète.)

[Oswald]

C'est celui-là même. Diantre ! Je ne l'imaginais point auteur, encore moins de SF. Pour le reste, je te fais un mp.

[Eunostos]

(Je précise que je n'ai pas encore lu les articles, n'étant pas abonné au Monde.)
J'imagine que c'est déjà ça de parler de D&D, mais la série d'articles aborde-t-elle un peu... ben, les autres jeux de rôle ? Parce que là, depuis les débuts de la promo autour du film, j'ai l'impression de plus en plus tenace que ce genre d'article ne fait que relayer une campagne de comm' de Wizards of the Coast auprès des médias américains. Ou qu'on ne s'intéresse qu'à D&D parce que D&D = Hasbro = gros sous. Et que ces articles ignorent crassement tout le reste de la réalité du monde du jeu de rôle en France, avec des multiples jeux made in chez nous, sans parler des créations de nos voisins européens. J'aurais été preneur d'une série d'articles consacrés non pas à D&D mais au jeu de rôle en général.

[Usher]

L'angle de la série d'articles porte sur D&D. Et Julien Laroche-Joubert convient de lui-même que les six articles lui ont parfois demandé de condenser son propos, car il n'avait pas l'espace pour traiter tout le matériau qu'il a rassemblé sur ce seul jeu.

Ou qu'on ne s'intéresse qu'à D&D parce que D&D = Hasbro = gros sous. Et que ces articles ignorent crassement tout le reste de la réalité du monde du jeu de rôle en France, avec des multiples jeux made in chez nous, sans parler des créations de nos voisins européens.

Cela ressemble beaucoup à un procès d'intention… C'est d'autant plus infondé concernant Le Monde qu'il a déjà publié d'autres articles sur le jeu de rôle comme loisir et phénomène culturel : Le jeu de rôle, du garage des parents jusqu'aux plateaux télé (1er avril 2022) ou Sur Internet, le jeu de rôle réinvente ses codes (8 février 2023).
En tout cas, pour revenir sur cette série d'articles sur D&D, Julien Laroche-Joubert a consulté une belle brochette de spécialistes français du jeu de rôle : Farid Ben Salem, William Blanc, Coralie David, Didier Guiserix, Jérôme Larré, Julien Pirou, Pierre Rosenthal… Excusez du peu. Alors certes, cela traite de D&D. Mais on ne peut pas dire que le journaliste ait snobé le milieu rôliste français.

J'aurais été preneur d'une série d'articles consacrés non pas à D&D mais au jeu de rôle en général.

Moi aussi, mais est-ce le sujet ?

[Eunostos]

C'était justement la lecture du second article que tu pointes qui m'avait laissé le sentiment d'un D&Dcentrisme excessif de la part du Monde, d'autant que l'article tombait en pleine campagne de comm' de Wizards of the Coast autour de la franchise. Mais il faut que je le relise à tête reposée pour me faire un second avis. En tout cas, pour ce qui est de la série d'articles en question, les détails que tu donnes me rassurent