Hier, nous avons vu
Emily de Frances O'Connor, qui s'intéresse à la vie de l'une des trois sœurs Brontë, Emily, autrice des
Hauts de Hurlevent. C'est une plongée dans l'univers familial pétri d'affections, de rivalités et d'éducation religieuse étouffante du XIXe siècle anglais. Comme souvent (mais il faut tout de même le souligner), le travail sur les costumes, les décors et les lumières est très soigné. Actrices et acteurs jouent très honorablement, en particulier Emma Mackey, qui incarne Emily. Le scénario s'attache à la dépeindre comme une véritable
misfit dans cette société très corsetée, au sein d'une fratrie où elle fait figure de vilain petit canard, la seule à oser donner voix aux émotions, aux pulsions et aux tensions qui la traversent. Entre gothique et romantisme, son inspiration est montrée comme nourrie par les paysages de landes pluvieuses et par la demeure familiale qu'elle a le plus grand mal à quitter. Les touches de fantastique présentes ici et là soulignent avec subtilité l'instabilité d'Emily. C'est prenant, bien rythmé, bien filmé.
Le problème est que nombre de péripéties n'ont pas grand-chose à voir avec la vie des véritables sœurs Brontë. Le personnage de leur frère, Branwell, par exemple, n'a pas le destin décrit par le film (même si la réalité n'est pas beaucoup mieux). Quant aux autres sœurs Brontë, pour tout ce que j'ai pu lire, elles n'étaient pas à ce point à couteaux tirés avec Emily. Anne, dont Emily était très proche, est ici réduite à un rôle de quasi figurante.
Mais ma plus grande frustration envers ce film, c'est son incapacité à montrer le travail de l'écrivaine qui a mené aux
Hauts de Hurlevent. Comme dans trop de biopics d'écrivains, on a l'impression qu'il suffit de ressentir de grandes choses et de s'asseoir à un bureau le temps d'une nuit blanche pour accoucher d'un chef-d'œuvre. Les histoires que se racontaient (et écrivaient) les sœurs Brontë, dès l'enfance (donc bien avant le début de la période que le film choisit d'évoquer) sont à peine mentionnées, et on ne les voit jamais lire, à part à l'église ! Bien des détails de leur vie réelle paraissent plus extraordinaires que l'intrigue amoureuse fictive et finalement assez bateau inventée par le film. Quant à la vie d'Emily, elle semble émaillée de scènes qui, comme par hasard, préfigurent les péripéties des
Hauts de Hurlevent. Ainsi, une fois de plus, la genèse d'un roman est réduite à la simple transposition directe d'émotions et d'événements vécus par son auteur. Qu'est-ce que ça donnera quand quelqu'un voudra filmer la genèse de
Gagner la guerre de Jaworski !
Malgré ces défauts agaçants (et fréquents dans ce genre de film), je dois dire que je n'ai pas vu le temps passer et que l'ensemble forme une histoire prenante et qui donne à penser, même s'il vaut mieux la prendre prudemment comme un genre de Janeaustenerie un peu moins polie plutôt que comme un récit fidèle de la vie des Brontë. Il a aussi l'avantage de remettre le sujet sur le devant de la scène et d'y intéresser potentiellement un public nouveau. À elle seule, la somptueuse BO d'Abel Korzeniowski, sur fond d'arbres et de robes victoriennes, vaut la séance.