[CR] Mystères à Whitby

Vous avez adoré Ça, Stranger Things ou E.T. ? Vous êtes nostalgique des années 80 ?

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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Petit post scriptum du MJ :mrgreen:

Pour les quatre épisodes de la saison 1, j'avais à chaque fois donné à une chanson un rôle emblématique ou évocateur dans l'intrigue ou l'atmosphère du scénario.

Pour la saison 2, j'ai décidé de changer de formule et d'essayer de rendre hommage, dans chaque épisode, à un réalisateur (ou à un film) d'horreur particulier. L'épisode "Blizzard" était donc mon épisode "à la John Carpenter", avec des échos de "The Thing", de "The Fog" et (plus légers / inconscients - je ne l'ai réalisé qu'après coup) de "Ghosts of Mars" (le côté SF et martien en moins arf :mrgreen: ).

Pour le deuxième épisode... eh bien je ne suis pas encore fixé ! :??: Wait and see, donc.
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

J'ai eu le plaisir de mener hier soir le deuxième épisode de la saison 2 de Mystères à Whitby, intitulé Gestalt... un épisode très psychologique, à l'ambiance très différente de la plongée en apnée "survivor" de la dernière fois (varions les plaisirs).

En attendant le CR de l'ami FaenyX (que j'ai hâte de lire, comme à chaque fois), quelques premiers éléments :

Il s'agissait cette fois-ci de revisiter deux autres ingrédients du background classique de TTB, revus et ré-imaginés via le filtre "40 ans plus tard..." - en l'occurrence l'Agence et les Enfants Alpha (voir les règles de TTB, pour ceux qui ne verraient pas du tout de quoi je parle). Cette fois-ci, l'hommage était dirigé vers les "thrillers psychiques" emblématiques des années 80 - notamment Scanners de Cronenberg, Fury de Brian de Palma et Firestarter/Charlie (le roman de King, plutôt que l'adaptation assez oubliable de Mark Lester) - eh oui, cette fois-ci, j'ai panaché plusieurs sources d'inspiration. 
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Mystères à Whitby

Saison 2, Episode 2 : GESTALT


Journal de Mike Beckman

Whitby, 4 avril 2023

Tout semble tranquille à Whitby depuis l’épisode du blizzard. Brad Kuttner est toujours porté disparu : nous savons, Rose et moi, qu’il ne reviendra jamais. Sa casse automobile est désormais sous séquestre et ce cimetière de métal est redevenu l’endroit rêvé pour les gosses qui cherchent à se faire peur. Rose Wu, désormais Town Marshal de notre petite ville, est appréciée de toute l’équipe municipale et n’a à déplorer que ses relations avec le shériff du Comté.

Willie est toujours dans le coma et, dans mes rêves, je sens parfois sa présence. Il me semble plus proche, ces derniers temps : son esprit est toujours là, vigilant, montant la garde. Raven a élu domicile sous mon toit et se remet de ce qu’elle a vécu cet hiver, grâce à l’affection de Dorothy, la fée de cette maison.

J’écris de temps à autre, la plupart du temps pour jeter ce que j’ai produit la veille. Tôt ou tard, Ray reviendra à la charge pour savoir où en est mon prochain roman. Mais, en ce printemps qui s’installe à Whitby, je n’aspire qu’à la tranquillité. Partir quelques jours au bord d’un lac, avec Sondra, est actuellement mon projet prioritaire.

Est-ce cela, vieillir ?

Whitby, 10 avril 2023

Ce matin, Rose s’est arrêtée à la maison, pour prendre le café. Nous avons pris l’habitude de ces rencontres régulières : à l’instar de Willie, qui veille dans le monde des esprits, Rose et moi restons en alerte et avons mis en place une veille. Je soupçonne néanmoins Rose de préférer le café que prépare Dorothy à celui auquel elle a le droit au poste de police.

Des aboiements ont interrompu notre discussion, bientôt suivis par l’arrivée d’un fringant septuagénaire, qui s’est présenté comme notre nouveau voisin. Alan Bishop occupe depuis une semaine la maison la plus proche, avec sa femme Laura et Buster, son golden-retriever.

Se livrant aux présentations d’usage, Bishop nous a laissé une étrange impression, à Rose et moi. Cet ancien policier, ayant officié à Chicago, semble déjà nous connaître et je suis sûr qu’il a fait ses recherches sur nous avant de se présenter. Par contre, il est resté vague sur sa carrière, se contentant d’évoquer le titre d’agent fédéral, et les raisons de sa venue à Whitby. Par contre, il avait pris ses renseignements sur nous et connaissait des détails de la carrière de Rose qu’elle n’a pas encore évoqué avec moi. A posteriori, j’ai réalisé qu’il avait réussi à ne répondre à aucune de nos questions. Il est reparti après nous avoir invité, Rose et moi, à dîner le soir même.

Quand il a tourné les talons, nous étions certains que Bishop n’était pas ce qu’il affichait. Ce n’étaient pas les convenances qui avaient motivé cette invitation. J’imagine que nous en saurons plus tout à l’heure.

A l’heure dite, Rose et moi avons frappé à la porte de la grande maison. Avec son habituelle délicatesse, Dorothy m’a prévenu : Mrs Bishop est « en fauteuil ». Mais c’est pourtant elle qui nous a accueillis : Alan était en cuisine et nous préparait son fameux coq au vin. Tous les ingrédients étaient réunis pour une soirée parfaite.

L’ameublement et la décoration semblaient sortir d’un catalogue, les boissons, puis bientôt, les plats auraient pu rivaliser avec les meilleures cartes. Mais, derrière la façade, nous sentions que quelque chose n’allait pas. Si Alan réussissait à être intarissable sans trop en livrer sur lui-même, Laura paraissait sur ses gardes. Quand je réussis à prendre la parole, je me tournai vers elle : pourquoi Whitby ? Nous apprîmes ainsi qu’après une carrière dans la biochimie du cerveau (si j’ai bien compris), elle venait trouver le calme ici. Elle avait tenté d’écrire, il y avait longtemps, mais n’avait aucun talent dans ce domaine. La littérature fantastique l’intéressait et si je pouvais lui indiquer quelques titres notables, elle serait ravie.

Le roboratif repas se conclut avec l’irréprochable cheesecake de Chez Dora, puis Laura se rendit en cuisine, pour nous préparer du café. Un long silence s’installa.

La tension feutrée était palpable dans ce couple. En était-ce seulement un ?

Quand la machine à café commença à ronronner en arrière-plan, Alan prit la parole :

- J’imagine que vous vous demandez pourquoi je vous ai invités.

Rose et moi hochâmes la tête. D’un geste, je l’invitai à poursuivre :

- Laura et moi travaillons pour l’Agence… enfin, la Fondation. Si nous sommes venus à Whitby, c’est suite aux événements récents. Je veux parler du suicide de Paul Karminski et toute cette histoire de Stranger Stuff. Nous tenons nos informations d’une source… Miss Frederica Addams.

Miss Friday.

Je me souvenais de notre entretien, de sa volonté d’aborder des sujets que j’avais préféré éviter. Et puis, tout ce qui s’était passé dans la chambre 13, au dernier Halloween, tout cela revenait. Alan continua son exposé. La Fondation, nouveau nom de ce qui avait été autrefois l’Agence, œuvrait dans l’ombre, dissimulant aux yeux du public ce qui rôdait dans le noir.

- La vérité doit être entourée d’une garde rapprochée de mensonges, déclara Alan, reprenant à son compte les mots de Churchill. Pour cela, nous observons et nous répandons de fausses informations. A l’heure d’internet, nous devons lutter sur ce front, dans la guerre qui nous oppose à un ennemi qui se cache dans l’ombre. Vous savez de quoi je parle, n’est-ce pas ?

- Le No Man’s Land, a complété Rose.

- Appelons-le ainsi. Nous savons qu’il existe et que vous y avez été confrontés.

- Qu’attendez-vous de nous ? Ai-je demandé.

- Rien. Considérez cette soirée comme une simple… prise de contact. Laura et moi sommes ici en mission de...diagnostic..

A ce moment, les ampoules se sont mises à grésiller, puis nous avons entendu une explosion, venant de la cuisine. Nous nous sommes précipités à la suite d’Alan, qui avait bondi de sa chaise. Devant la machine à café en flammes, Laura était comme pétrifiée par la terreur. Brandissant un extincteur providentiel, Alan vint rapidement à bout du feu, tandis que Rose écartait la pauvre femme.
En quelques instants, tout fut terminé. Mais la peur continuait de hanter Laura et nous décidâmes de prendre congé. Alors qu’il nous raccompagnait sur le pas de la porte, j’ai bien cru qu’Alan était sur le point de dire quelque chose, mais il se ravisa.
Ce fut une étrange soirée, même si je n‘arrive pas à comprendre pourquoi.

Demain sera un autre jour.

Whitby, 11 avril 2023

Je me suis réveillé en pleine nuit, vers trois heures du matin, comme si une alarme retentissait. Dans la maison, le silence régnait pourtant. Je sentais que quelque chose se passait non loin et, après avoir sauté dans un jean et enfilé une paire de baskets, je suis sorti et ai couru vers la maison voisine, tout en appelant Rose.

La porte d’entrée était verrouillée. De l’autre côté, j’ai entendu les gémissements de Buster. J’allais faire le tour de la maison quand Rose est arrivée. Sans hésiter, elle a cassé la vitre de la porte de derrière et est entrée, maglite en main. Je l’ai suivi et, dans le faisceau de lumière, nous avons distingué des meubles renversés. Un étrange frisson me parcourut l’échine, comme un insecte qui aurait grimpé le long de ma colonne vertébrale. Je sentais des présences alentour… à la lisière du réel.

Alan était étendu, groggy. Quand Rose se pencha sur lui, il murmura :

- Laureen…

Mon étrange impression se dissipa, comme si la présence se retirait. Tandis que je restai près de l’homme, Rose se dirigea vers la cuisine.

Le fauteuil roulant gisait, renversé sur le côté. Dans l’escalier, en position fœtale, Laura gémissait. Elle était brûlante de fièvre. Rose s’approcha et l’entendit marmonner :

- Un bon chocolat chaud et un marathon ! C’est le magicien, le magicien d’Oz !

Elle délirait, en proie à la fièvre.

- Il faut appeler Bourbon Jack…. Ce ne sont pas mes vrais parents ! Mes parents sont morts, je les ai tués ! Ils sont à Dreamland...

Elle avait presque crié. Puis elle se mit à chantonner…

- Somewhere, over the rainbow...

Rose et moi nous regardâmes. Puis, elle composa sur son téléphone le numéro du Docteur Maxwell. Alan, de son côté, avait rétabli le courant. Je le soupçonnai de s’être offert une rasade de l’excellent whisky que nous partagé quelques heures plus tôt. A vrai dire, j’en aurais bien pris une gorgée aussi.

Quand le Docteur Maxwell est arrivé, ayant enfilé un manteau par-dessus son pyjama, il examina Laura, bien que celle-ci ait recouvré ses esprits peu après son étrange crise. Il insista pour qu’elle se rende à l’hôpital de Wabash pour y faire des examens, mais elle refusa. Avant de repartir, Maxwell nous confia son inquiétude, en haussant les épaules. La nature du drame qui s’était joué ne faisait guère de doute à ses yeux, étant donné le désordre qui régnait. Mais Rose et moi savions qu’autre chose était à l’œuvre ici.

- ILS sont revenus, c’était eux.

La voix de Laura était à la limite de l’audible. Nous nous tournâmes vers elle, mais Alan avait déjà posé sa main sur l’épaule de la femme. Il nous fixa sans ciller et déclara :

- Laureen… Laura et moi devons… faire le point. Merci de vous être déplacés.

D’un regard, il nous montra la porte.

Le ton de sa voix était à mille lieues de sa bonne humeur de tout à l’heure.

Nous sommes partis.

Je n’ai pas dormi et, jusqu’à l’aube, j’ai fait quelques recherches sur mes deux nouveaux voisins. Il y a tellement d’Alan Bishop dans ce pays que celui qui je cherchais est resté bien caché. Par contre, j’ai rapidement trouvé le profil de Laura Grayson. C’est effectivement une chercheuse en biochimie du cerveau et a travaillé pour les universités de Berkeley et de Chicago, entre autres.
J’ai rejoint Rose au poste de police pour partager ces maigres informations. Qui est Alan Bishop ? Est-ce le garde du corps de Laura ?

Pourquoi sont-ils venus à Whitby ?

Dans les bases de données de la police, il n’y a rien sur elle ni sur lui.

C’est alors que Rose s’est souvenu des mots prononcés par Laura lors de sa crise. Si elle avait vraiment perdu ses parents, alors qu’elle n’était qu’une enfant, le drame se serait joué dans les années 1970. Les archives de cette époque, au poste de police de Whitby, étaient parcellaires, pour ne pas dire inexistantes. Qui pourrait nous renseigner ?

L’évidence nous a frappés, simultanément.

- Dorothy !

Whitby, 1978

- Tu vas bien, petite ?

Dorothy s’est penchée sur la gamine entrée en trombe dans le Drugstore. Elle a délaissé le carton qu’elle portait et tend les bras à l’enfant au pull orange. En état de choc, la fillette sanglote silencieusement. Après avoir regardé dans le magasin si elle voyait les parents de l’enfant, la vendeuse déclare, en se tournant vers Samantha Langmann :

- Cette petite s’est perdue…

Puis, se tournant de nouveau vers la petite fille et l’entraîne avec elle.

- Que dirais-tu d’un bon chocolat chaud ?

En saisissant au passage une barre chocolatée, sous le regard de sa patronne (« cela sera déduit de votre salaire, Dorothy », lit-elle dans ses pensées), elle ajoute :

- et un Marathon ! https://i2-prod.mirror.co.uk/incoming/a ... 648032.jpg

L’étrange petite fille a cessé de pleurer et s’est assise à côté de Dorothy, qui continue de lui parler, tout en déballant la friandise :

- Comment t’appelles-tu, ma chérie ? Moi, c’est Dorothy… tu sais, comme dans le Magicien d’Oz.

La fillette regarde fixement la femme qui l’a prise en charge et tente de sourire, malgré la peur qui se lit dans ses yeux.

- J’appelle Bourbon Jack, lâche Mrs Langmann, tout en décrochant son téléphone. Dorothy, de son côté, a commencé à chanter, tout doucement, captivant sa petite protégée qui tient la barre chocolatée.

Somewhere, over the rainbow...

Il y a du bruit dans le Drugstore. Un homme et une femme sont entrés et ont marqué un temps d’arrêt devant le curieux spectacle. Après avoir chuchoté quelques mots à Mrs Langmann, ils se sont approchés de la petite fille.

- Laureen… c’est fini, maintenant, il faut remonter en voiture.

Les yeux de l’enfant s’écarquillent et s’embuent. La femme ajoute :

- Viens, ma chérie, nous avons encore de la route jusqu’à Chicago. Laisse cette gentille dame tranquille, maintenant.

La petite les regarde et crie :

- Ce ne sont pas mes vrais parents ! Mes parents sont morts, je les ai tués !

Les deux adultes sourient et se tournent vers Mrs Langmann, l’air gêné. Ils parlent en même temps d’état de choc, de fatigue, de crise de nerfs à leur interlocutrice qui hoche la tête. Le regard de Dorothy fixe les nouveaux venus, tandis que la main de la petite fille serre la sienne.

Celui qui s’est présenté comme son père se penche alors sur l’enfant et Dorothy sent la petite main glisser dans la sienne. Quand elle se relève, les deux adultes sont déjà au seuil du Drugstore, aux côtés du Town Marshal Jack Williams, dit "Bourbon Jack".

Sans un regard en arrière,


Nous sommes retournés chez Alan et Laura, bien décidés à enfin obtenir des informations de leur part. Quand il nous a ouvert, Alan n’était plus l’homme affable de la veille. Mais, dans son dos, la voix de Laura lui a demandé de nous laisser entrer. Elle voulait nous parler. Il s’est retiré et Laura Grayson nous a raconté son histoire.

Depuis quarante ans, Alan veillait sur elle, qui fut Laureen Henderson, Alpha 21 et Laura Grayson.

En 1973, l‘administration Nixon lança le programme Alpha, en pleine Guerre Froide. Dans le cadre de ce projet, quelque part aux alentours de Whitby, fut construit le Centre, une clinique « spéciale » dirigée par le Professeur Hugo Wallenquist.

Quelques années plus tard, Laureen Henderson perdit ses parents dans un accident automobile. Elle fut la seule survivante et, après six mois de coma, reprit vie, dotée de facultés particulières. Les prospecteurs du Projet Alpha la repérèrent et l’enlevèrent, afin de l’amener au Centre, droguée. Peu avant son arrivée, Laureen s’éveilla et fut victime d’une crise. La voiture qui la transportait sortit de la route et la petite fille fila entre les mains de ses ravisseurs. Elle trouva refuge dans le Drugstore de la ville où avait eu lieu l’accident, mais fut reprise par les agents.

Elle séjourna presque un an dans la clinique de Wallenquist, où elle subit des tests, fut soumise à des traitements à base de drogues et de musique classique. Père, comme se faisait nommer Wallenquist, espérait avec ses protocoles, développer, comprendre et maîtriser les facultés PK de Laureen. Cette dernière était alors devenue Alpha 21.

C’est à cette époque que l’Agence a renforcé sa surveillance sur la Clinique. Les équipes de Wallenquist avaient compris que les enfants qu’ils détenaient représentaient des armes fantastiques, pour peu qu’ils fonctionnent en groupe de quatre : le Gestalt. Alpha 18 avait des facultés télékinétiques, Alpha 19 maîtrisait le contrôle psychique, Alpha 20 détenait le blast. Quant à Alpha 21, sa spécialité était la pyrokinésie.

Pour Wallenquist, tous les moyens étaient bons. Les cerveaux des gosses étaient matraqués par les drogues et il redoublait de sévérité pour réussir. Il répétait à « ses » enfants Alpha qu’ils étaient de la race des seigneurs, qu’ils étaient les enfants du futur, sur fond de musique wagnérienne. Les gamins devaient d’ailleurs subir un traitement spécial qui leur blondissait la chevelure.

Rien d’étonnant, quand on savait que Wallenquist s’appelait autrefois Heinrich Wolfram et que ce scientifique nazi avait été récupéré par les États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

- L’opération Paperclip, murmura Rose.

En août 1979, la Clinique fut ravagée par un incendie. Ce jour-là, Alpha 21 « explosa ». Trois membres du personnel périrent dans le sinistre, ainsi que les trois derniers enfants Alpha. Laureen, dernière survivante de Wallenquist, fut sauvée par les hommes de l’Agence. Le Professeur fut capturé par l’Agence et finit ses jours dans une prison, victime d’une crise cardiaque. L’affaire fut étouffée, mais il y eut des fuites.

- Quand l’écrivain, ce King, publia son bouquin… « Firestarter »… personne n’a cru à une coïncidence, marmonna Alan.

Belmont High School, 1991

Glen arrête le magnétoscope, puis commence à rembobiner la cassette.
- Eh bien, je m’attendais à mieux…quelqu’un veut une bière ?
A côté de moi, dans le canapé défoncé de la salle de détente, Kristin hoche la tête.
- C’est bien la petite fille qui jouait dans E.T. ? demande-t-elle en décapsulant la bouteille glacée
Ils sont plusieurs à s’être tournés vers moi, attendant ma confirmation. Je mets quelques secondes à répondre que oui, c’est bien elle.
- Ça va, Mike ?
- Oui, oui… désolé, j’étais ailleurs.
Si j’étais honnête, je leur dirais à tous que j’étais dans le film, aux côtés de ces gosses qu’on utilise comme cobayes dans ce laboratoire. J’ai rarement senti pareille proximité avec des personnages de fiction. Il va falloir que je m’intéresse au roman dont ce Firestarter est tiré.


Laura continua son récit. Elle avait été récupérée par l’Agence et, avec la puberté, vit disparaître ses pouvoirs. Tous les tests qu’elle subissait étaient vains.

Commença pour elle une période d’errance qui prit fin avec l’accident : ce jour-là, ivre et défoncée, elle faillit perdre la vie au volant de sa voiture. Privée de l’usage de ses jambes, elle fut prise en charge par l’Agence et Alan entra dans sa vie, pour l’assister et la surveiller. Elle suivit des études et fit la carrière qu’on lui connaissait.

En 2001, l’Agence devint la Fondation mais Alan resta à ses côtés. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en septembre 2021, ses pouvoirs revinrent, de façon sporadique et incontrôlée. Si les scientifiques de la Fondation pensaient que cela pouvait être dû à la ménopause, Laura était persuadée que quelque chose était arrivé, à cette période.

Nous ne pouvions lui donner tort : c’est en septembre 2021 que ça a recommencé, à Whitby aussi, à Amblin House, tout d’abord, avec ces gosses et puis, tout ce qui s’est passé depuis…

En s’intéressant au cas de Karminski, la Fondation avait découvert l’existence de Whitby, Indiana. De là à comprendre que les pouvoirs de ces malheureux enfants étaient boostés par la présence du No Man’s Land, le pas avait vite été franchi.

Sous l’égide de la Fondation, le projet Dreamland avait été lancé. Sur les ruines de la clinique de Wallenquist, se construirait un nouveau centre. Laura était là pour y être évaluée, étant la seule enfant Alpha survivante.

Je n’y tenais plus et m’exclamai :

- Votre fichue Agence, ou Fondation, appelez-la comme vous voulez… il y a dans ce No Man’s Land des choses qui dépassent vos foutus protocoles et tous les secrets que vous protégez.

Alan répliqua :

- Nous devons protéger Laura !

- Savez-vous à quoi vous l’exposez ? Avez-vous eu seulement un aperçu de ce qu’il y a de l’autre côté ? Nous y sommes allés, nous !

Rose posa sa main sur mon bras. Je me calmai. En regardant Laura, je compris que c’était elle qui m’avait appelé, cette nuit. Elle savait : Dreamland n’était pas le point de contact du No Man’s Land. C’était elle, la clé qui leur permettrait d’y accéder.

Alan soupira :
- Quand Laura aura terminé les tests… nous repartirons et je ferai mon rapport à la Fondation, comme quoi il n’y a rien ici, à Whitby.

Mais survivra-t-elle à vos maudites expériences ? Et jusqu’où irez-vous ?

En repartant, je me demandais comment aider Laura. Rose a filé au poste de police, pour éplucher tous les cas de disparitions d’enfants de cette époque.
J’ai un terrible pressentiment.

Il faudrait que je dorme.

Vers 18h30, j’ai eu l’impression qu’un pic à glace fouaillait mon cerveau. Sur l’écran de mon téléphone, le numéro d’Alan Bishop s’est affiché le temps d’un battement de cœur, avant de disparaître. Sans réfléchir, j’ai foncé vers leur maison, appelant en même temps Rose. Elle a dû violer plusieurs fois le code de la route et est arrivée en même temps que moi. Nous sommes entrés et Buster, le golden-retriever, a pris la fuite en gémissant.

Alan et Laura étaient là, tous les deux. Lui était inanimé, au sol, tandis qu’elle flottait au-dessus du sol, bras écartés. L’air autour de nous crépitait et dans la pénombre, je distinguais des visages spectraux. Le Gestalt était réuni et prenait conscience de notre présence : les objets et les meubles commencèrent à voler. J’ai évité un fauteuil et me suis précipité à hauteur de Laura, mais elle était hors d’atteinte. Des flammes jaillissaient à plusieurs endroits.

C’est alors que Rose s’est mise à parler, répétant sans fin les noms d’enfants morts depuis longtemps :

- Dany Gunderson ! Trisha Wheeler ! Lindsey Preston !

Je compris qu’elle avait fini par identifier ceux qui étaient devenus Alpha 18, Alpha 19 et Alpha 20 et avaient servi de cobayes à Wallenquist. Les meubles cessèrent de tournoyer et l’air s’apaisa. En libérant ce qui restait de ces pauvres enfants, Rose leur permettait d’échapper au No Man’s Land. Laureen Henderson tomba et je la rattrapai.

Rose éteignit le début d’incendie avec un des nombreux extincteurs dont était pourvue la maison.

Tout était fini.

La porte qui s’était ouverte était refermée.


Whitby, 12 avril 2023


Laura et Alan ont quitté Whitby cet après-midi.

Quelques heures après leur départ, nous avons reçu un texto de celle qui fut Alpha 21 dans une autre vie « Contactez Miss Friday. Elle a des informations. Bonne chance »

J’appellerai Frederica Addams prochainement.

Rose est passée prendre le café, ce matin. Nous avions besoin de faire le point sur cette histoire. Elle m’a aussi exposé le résultats de ses recherches sur Dreamland. Sur les ruines de la clinique du sinistre Wallenquist, se construit ce qui sera un resort privé ou un tech center, ce n’est pas très clair. Le projet est mené par une des multiples succursales de Wisdom Unlimited, hydre technologique amené à rejoindre le club très select des GAFA, et empire personnel d’Aiden Wise. Ce dernier, non content de superviser Wise Up, le moteur de recherche qui devrait supplanter Google, a créé un organisme aux visées nébuleuses ; la Fondation W. Comme tout industriel de son calibre, il a fait l’objet de plusieurs biographies, dont une a été saisie après sa parution.

Quand elle m’a vu arriver, alors qu’elle s’apprêtait à fermer la porte, Sondra a souri et m’a laissé entrer.

- Désolée, Mr Beckman, la bibliothèque ferme à 18 heures.

Nous nous sommes embrassés.

- Cela dit, je peux peut-être faire une exception...a-t-elle murmuré.

J’ai hoché la tête, puis ai ajouté, en lui montrant mon calepin :

- Avec joie. Dis-moi, connais-tu ce livre ?

- Millennium Messiah, chez Polaris Publishing….une rareté !

Elle m’a fait un clin d’œil :

- … qui a donc sa place dans la "Crypte".

Quelques minutes plus tard, Sondra ressortait du sous-sol de la bibliothèque, avec en main le livre en question. Devant mon air subjugué, elle précisa :

- C’est surtout un amas de rumeurs, de spéculations. Pas très intéressant, si tu veux mon avis…tu t’intéresses au personnage ?

J’ai haussé les épaules tandis qu’elle posait l’ouvrage dans ma main.

- Un peu… promis, je respecte la règle : pas plus de trois semaines…

Son rire léger m’a répondu.

- On dîne ensemble ?

Je me suis réveillé tôt, ce matin et, en attendant que Sondra ne s’éveille, j’ai parcouru Millennium Messiah. Elle avait raison : l’auteur, caché derrière le pseudonyme S. Jones, relaie quantités d’informations indiscrètes et plus ou moins fondées sur Aiden Wise. J’allais le refermer quand, au détour d’un paragraphe, j’ai appris que le magnat avait changé son nom de famille.

Avant de s’appeler Wise, il se nommait Wallenquist.

L’homme qui faisait la une de tous les magazines de la tech et du business était le petit-fils d’Hugo Wallenquist.
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Mystères à Whitby

Saison 2, Episode 2 : COMMUNION


Commençons par les petits prologues écrits distribués aux PJ en tout début de scénario (un pour Rose et un pour Mike) :

http://storygame.free.fr/PROLOGUE7.pdf

Et maintenant place au...

Journal de Mike Beckman


Whitby, 3 juillet 2023

En ce début d’été, tout est calme à Whitby. Trop calme.

Je sais pourtant que le Mal est toujours là et qu’il peut prendre bien des visages.

Depuis quelques jours, je suis inquiet pour Dorothy. Elle me semble fatiguée, sur les nerfs et particulièrement anxieuse. J’ai essayé à plusieurs reprises, ces derniers jours, de lui demander ce qui n’allait pas mais elle a éludé le sujet à chaque fois.

Et puis, ce matin, alors que Raven n’était pas encore levée, elle a fini par me parler. Ses traits étaient tirés et je suppose qu’elle n’avait guère dormi cette nuit. Elle a fini par se lancer :

- Mike.. hier matin, je suis allée à l’église. .. tu sais que j’y vais parfois… mais, pour une fois, je ne suis pas allée à l’église du pasteur Gillman...mais à celle du révérend Stone.

J’ai hoché la tête. Il y a deux églises à Whitby : la première, la plus fréquentée, est celle du pasteur Gillman, et est d’obédience méthodiste « classique ». L’autre, plus minoritaire, est celle du révérend Calvin Stone et regroupe des Baptistes évangéliques fondamentalistes. Pour autant que je m’en rappelle, Dorothy est une « méthodiste standard ».

- J’avais mes raisons d’aller chez les Baptistes...mais ça n’a rien à voir avec...avec ce que j’ai à te dire.
Elle a marqué une nouvelle pause, puis a repris son souffle.

- Les sermons du révérend passent pour être assez...enflammés. Mais là… il a parlé de TOI, Mike, des livres que tu écris. Il a dit que tu servais la cause de Satan, que tes romans mettaient les âmes en danger...que tu étais une menace pour la communauté… et ils étaient tous là, à dire « Amen ! ». Je ne savais plus où me mettre..certains se sont tournés vers moi, c’était un vrai cauchemar.

Elle a fondu en larmes. Je n’avais jamais vu Dorothy dans un tel état.

Le numéro de ma mère s’est affiché sur l’écran de mon smartphone.
- Michael ?
- Bonjour, Maman, comment vas-tu ?
- Ton père est mort ce matin, Michael.
Je suis resté muet, comme si mon cerveau ignorait que faire de cette information.
- C’est… comment s’appelle-t-elle, déjà ?... la femme qui vivait chez lui qui m’a appelée tout à l’heure.
J’ai regardé par la fenêtre. La neige tombait doucement sur New York.
- Elle m’a parue un peu dépassée par les événements. Peux-tu l’appeler pour voir ce qu’il y a à régler là-bas ?
J’ai à peine le temps de bredouiller quelques mots que ma mère a déjà raccroché.
Là-bas, c’est la petite ville de l’Indiana où j’ai passé mon enfance et où mon père vient de mourir.
Là-bas, c’est Whitby.


J’étais sous le choc. J’ai déjà croisé quelques individus persuadés de voir le diable dans mes écrits et ai subi quelques commentaires insultants, à l’époque où je vivais à New York, mais ceux-là étaient noyés dans la foule et m’étaient anonymes.

Mais, cette fois, ça se passait à Whitby.

Chez moi.

Les mains tremblantes, j’ai pris celles de Dorothy. Je tentai de réfléchir et décidai d’aller voir ce révérend Stone, ignorant encore ce que je lui dirais.

- Que se passe-t-il ?

Dans son T-shirt trop grand, Raven, les traits encore tirés, nous regardait. Je m’approchai d’elle :

- Je te raconterai… ça va s’arranger, crus-je bon d’ajouter.

- Mike...je fais encore ces cauchemars...quelque chose se réveille, tu sais.

Je hochai la tête et allai ajouter quelque chose quand nous entendîmes les chants, dehors.

En jetant un œil par la fenêtre, je découvris, sur le trottoir, une dizaine de femmes portant des pancartes et entonnant des cantiques. Les slogans avaient le mérite d’être clairs : la littérature horrifique menait tout droit en enfer et j’étais un serviteur de Satan. J’eus l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds et tentai de faire bonne figure. Raven s’approcha à son tour.

- Indian witch !

Elle recula, comme si quelque saleté avait craché dans sa direction et d’ailleurs, c’était le cas. D’où j’étais, je me demandai si j’avais bien entendu : indian witch ? Bitch ? Dans tous les cas, c’en était trop. Je composai le numéro de notre Town Marshal.

Quand je me suis tourné vers Dorothy, dans sa cuisine, elle était pâle comme la mort.

- Tu connais ces femmes ? demandai-je

- Oui… il y a Nancy Harper, qui semble être à leur tête.. et, oh Mon Dieu...Veronica...Veronica Wood.

Elle m’indiqua la femme la plus âgée du groupe. Les larmes aux yeux, Dorothy s’écarta de la fenêtre.

- Mike, pourquoi font-elles ça ?

Je haussai les épaules. J’avais l’impression d’être piégé, assiégé chez moi.

Après quelques minutes qui m’ont semblé une éternité, j’ai vu le véhicule de Rose s’arrêter devant la maison. Elle s’est dirigée droit vers Mrs Harper et elles ont discuté un instant. Puis Rose, le téléphone contre l’oreille, est entrée.

- Le Maire est prévenu, mais je ne peux rien faire pour l’instant. Elles sont sur la voie publique… la liberté d’expression…

Elle haussa les épaules et soupira :

- Je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui. Quelqu’un a recouvert la vitrine des Epstein de graffitis antisémites cette nuit.

C’en était trop. Quelque chose en moi chuchotait que tout cela était lié. Pourquoi ces fanatiques se déchaînaient-ils aujourd’hui ?

Je me tournai vers Dorothy : elle me regardait, désemparée, prête à s’écrouler. C’est alors qu’elle nous expliqua pourquoi elle était allée à l’office baptiste, la veille.

Il y a quelques années, Dorothy a été traitée pour un cancer. Elle vivait sous la menace de la récidive. Cette dernière est là et la lutte est vaine, d’après elle.

Avant que nous ayons pu protester, elle a levé la main et a continué son récit.

Une de ses amies, Veronica Wood, une femme très dévote, souffrait depuis des années d’arthrite, au point qu’elle ne pouvait se servir de ses mains, lors de ses crises.

Il y a une dizaine de jours, Dorothy a rencontré Veronica en faisant ses courses.

L’arthrite de celle-ci avait disparu.

Selon Veronica, cette guérison miraculeuse était l’œuvre de frère Nathaniel, un nouveau venu au sein des baptistes traditionalistes. Il avait ainsi guéri trois personnes : Veronica Wood, mais aussi Eben Wright, sauvé de son alcoolisme, ainsi que la petite Elsie Henderson, débarrassé de son somnambulisme et de son énurésie.

Dorothy avait compris que Brother Nate, comme l’appelaient les fidèles, était son seul espoir. Elle s’était rendue à l’office, ce dimanche.

C’est un beau dimanche d’été, au bord du lac. Ma mère a étalé une belle nappe sur le sol, on a pique-niqué. Autour de nous, des familles entières ont fait de même.
Papa n’est pas venu, il est parti tôt de la maison, parce qu’il devait reprendre sa tournée. C’est ce que m’a dit Maman, avant d’enfiler ses lunettes de soleil. Trop tard, j’avais vu le rouge dans ses yeux et ce n’était pas une poussière, cette fois.
- Tu ne vas pas rejoindre tes amis, là-bas ?
Je marmonne quelque chose en secouant la tête. La bande à Epstein joue bruyamment dans l’eau. Je baisse le nez, me plongeant un peu plus dans le roman que j’ai amené.
- Ce ne sont pas mes amis, M’man.
- Quel sauvage tu fais, mon pauvre garçon… moi, à ton âge, j’avais des dizaines d’amis, à l’école.
Oui, je sais, Maman, tu étais LA fille populaire de ta classe, tout le monde t’adorait.
Mais où sont-ils, maintenant, ces amis ? La reine du bal 1962 a été oubliée, on dirait.
Mes amis à moi, ceux du gang of four, seront toujours là.

Un long silence s’est abattu sur la pièce. Dehors, les cantiques avaient cessé. Rose nous a assuré qu’elle ferait ce qu’elle pouvait pour éviter tout drame, mais elle était soucieuse. Elle est sortie, et s’est dirigée vers son véhicule. Quelqu’un l’attendait, dehors.

Bill Epstein.

Le garçon qui avait fait de mes années à la Middle School un enfer, que j’avais haï de toutes mes forces sans me rappeler comment cette aversion était née. Il avait fait fortune à Whitby en profitant du boom de l’immobilier et était sans doute la personne que j’avais le moins envie de croiser de toute cette ville qui devenait folle.

Mais aujourd’hui, il n’était que l’ombre de lui-même. Sa démarche hésitante, sa tête baissée, tout en lui traduisait la défaite.

S’apercevant de sa présence, les manifestantes changèrent un instant de cible. Des insultes jaillirent : « ...juif !… ils vendent nos maisons, bientôt ils vendront nos enfants ! »

Rose fit alors face à Nancy Harper. Je n’entendais pas ce qu’elle lui dit, mais le face-à-face fut bref. Bientôt, la harpie tourna les talons, entraînant avec elle sa suite.

J’étais sur le pas de la porte.

Bill Epstein s’approcha à quelques mètres, manifestement ivre. Il me tendit une main tremblante.

Je laissai passer quelques secondes, durant lesquelles des images de brimades, des insultes me revinrent. Puis, je lui serrai la main.
Les yeux brillants, il bredouilla.

- Je suis désolé, Beckman… pour autrefois…

La gorge serrée, je le regardai.

- Oublions ça, Bill… on était des gosses… c’est loin.

Quand il est reparti avec Rose, je suis resté longtemps plaqué contre la porte. Mes jambes me portaient à peine.

Durant l’après-midi, j’ai été contacté par Amanda Myers, du Whitby Daily, qui voulait faire un article sur la manifestation dont j’avais été la cible. J’ai choisi de décliner une nouvelle fois sa proposition, à son grand désarroi.

Rassurer Sondra fut plus difficile. Elle a du sentir dans ma voix que quelque chose n’allait pas et mes paroles n’ont pas suffi à dissiper son inquiétude. Je vais lui parler de Dorothy.

Mardi 4 juillet 2023

Cette année, nous ne sommes pas allés au feu d’artifice donné pour la Fête Nationale.

Dorothy étant trop fatiguée, j’ai préféré rester à la maison, sans doute pour éviter de tomber sur un de ces fanatique ou avoir à raconter l’incident d’hier.

Alors que nous étions dans le jardin, seuls sous les étoiles, j’ai parlé à Sondra de la santé de Dorothy et de mes inquiétudes à son sujet.

J’aurais pu lui dire que je sens que quelque chose de terrible menace la ville et que cela dépasse l’entendement de bon nombre de nos concitoyens. Je ne l’ai pas fait.

Si Sondra a oublié ce que nous avons vu et vécu, quand nous étions gosses, je dois lui épargner ces horreurs, pour la protéger.

Jeudi 6 juillet 2023

Je suis allé voir Rose au poste de police.

Elle n’a pas chômé, pendant que je me terrais chez moi. Elle a rencontré le Maire et le Pasteur Gilmann, et garde un œil sur les traditionalistes du révérend Stone. Ces derniers semblent avoir pour modèle leurs coreligionnaires de Westborough, Kansas. Là-bas, les panneaux appelant à la haine au nom de Dieu fleurissent un peu partout.

Par contre, elle n’a que peu d’informations sur ce Brother Nate. Ce guérisseur itinérant a laissé sa trace dans plusieurs états, sous différents pseudonymes, mais impossible de trouver à quoi il ressemble.

Le Docteur Maxwell nous a rejoint. Quand Rose l’a contacté, il n’a guère tardé à venir donner son avis sur les guérisons miraculeuses survenues ces derniers jours. Il doute du « cas Eben Wright » et, pour ce qui est de la petite Henderson, le problème venait selon lui des parents, extrêmement religieux . En ce qui concerne Veronica Wood, par contre, il ne sait à quoi s’en tenir.

Avant qu’il parte, je lui ai demandé de venir voir Dorothy. J’espère qu’il la convaincra mieux que moi de passer des examens.

Vendredi 7 juillet 2023

J’écrivais (ou plutôt tentais de produire quoi que ce soit de lisible) quand Raven est venue me chercher. Quelqu’un, à la porte, demandait à voir Dorothy. Elle se reposait et je suis allé voir.

Veronica Wood me faisait face et insista : Dorothy, dans son état, devait se tourner vers le Christ, qui lui apporterait son aide. Un frisson parcourut mon échine et je mis quelques secondes à reprendre mes esprits.

Invoquant la récente démonstration à laquelle elle avait participé, j’ai quasiment fermé la porte au nez de cette vieille femme, avant de rester pétrifié.

Mon cœur battait la chamade : j’avais fait face à quelque chose d’inhumain, sous l’apparence de Mrs Wood.

- Mike ?

Raven était près de moi.

- Il y a un problème avec Dorothy.

Je courus jusqu’à la chambre. Elle se tenait la tête entre les mains et gémissait de douleur.

- Jésus ! Il peut me guérir… le cancer va me dévorer, murmurait-elle.

Je posai les mains sur les siennes tandis que Raven commença à psalmodier un chant que Willie lui avait sans doute appris. Puis, la douleur et la peur refluèrent et Dorothy se blottit dans mes bras.

- Je sens une présence mauvaise, Mike...c’est LUI...Brother Nate, chuchota Raven.

J’ai hoché la tête.

Quand Dorothy s’est endormie, Raven m’a raconté une vieille histoire wabashanee qu’elle tenait de Willie. Autrefois, l’homme-médecine étant devenu très vieux, les Wabashanee virent arriver un jeune homme qui prit sa place. Rapidement, le nouvel arrivant soigna les membres de la tribu et les eut tous sous son emprise.

Le vieil homme-médecine comprit alors que son jeune remplaçant invoquait les démons et, s’il chassait la maladie du corps de ceux qu’il soignait, il la remplaçait par les esprits mauvais, qui prenaient possession des êtres humains. Il affronta donc le jeune homme-médecine et le chassa.

Willie comptait sur moi pour lui succèder, autrefois. Je sais maintenant que je dois affronter Brother Nate. J’ai fait part de cette décision à Rose, quand elle est venue voir Dorothy, tout à l’heure. Elle m’a évidemment invité à attendre que nous sachions à qui nous avons affaire.

Raven a proposé d’infiltrer l’église des fondamentalistes, pour identifier ce Nathaniel : le jeune Luke, inconnu chez eux, saura tenir ce rôle. Dimanche, il ira assister à l’office et enregistrera ce qui s’y dit.

Dimanche 9 juillet 2023

Luke, qui tient à mériter son surnom de Skywalker, s’est aventuré dans le côté obscur aujourd’hui. Pendant que Rose surveillait l’église, installée dans sa voiture, et que je veillais sur Dorothy, il a assisté à l’office et enregistré celui-ci. Puis, il nous a rejoints chez moi, encore troublé par ce à quoi il avait assisté.

- C’était bizarre… il y avait beaucoup de chants, ça n’en finissait pas.

Il a alors préféré nous passer l’enregistrement. Celui-ci comportait deux sermons. Le premier émanait du révérend Stone et semblait confus, maladroit, comme si le vieil homme peinait à rassembler ses idées. Ensuite, il y eut celui de frère Nathaniel, dont la voix grave et magnétique résonna dans mon salon. Il évoquait les temps troublés que nous traversions et annonça que les fidèles devaient se tenir prêts à l’arrivée du Veilleur de la Fin des Temps.

Rose et moi, nous nous regardâmes, stupéfaits. Mais la voix continuait : Il était avec nous, le Gardien du Seuil, le Guetteur de la Fin des Temps... Des dizaines de « amen ! » lui répondirent.

Leaning, leaning, safe and secure from all alarm

Leaning, leaning, leaning on the everlasting arm


Puis, Brother Nate entonna un vieil hymne qui nous fit frissonner. Derrière les paroles de consolation, nous entendions une autre voix.

Il l’appelait, lui, le Moharahani !

Mon sang s’est glacé, d’un coup. Raven et moi regardions le téléphone de Luke comme s’il s’agissait d’une bête prête à bondir sur nous. Je savais ce que faisait ce Nathaniel : il préparait la venue du Gardien du Seuil et allait lui offrir une armée de fidèles.

Rose prit les choses en main. Tandis que je resterai ici, elle irait voir Wilma, la fille d’Eben Wright, l’un des « miraculés ». Il s’agissait d’une des femmes qu’elle avait vu lors de la manifestation devant chez moi et qui lui avait semblé hésitante. En surveillant l’église, tout à l’heure, elle l’avait identifiée.

Lundi 10 juillet 2023

J’ai tourné en rond toute la journée, comme un loup en cage.

Rose a raison, aller faire face à Brother Nate dans son église pourrait provoquer le pire. Mais le pire, je ne cesse de l’imaginer.
Elle est passée en fin de journée et m’a raconté sa visite chez les Wright. Elle est tombée sur la jeune Wilma et, à force de patience, a fini par assembler quelques pièces supplémentaires du puzzle. Son père, dont elle s’est occupée toute sa vie, a bien cessé de boire depuis peu, mais ce n’est plus le même homme. C’est comme si il ne reconnaissait plus sa propre fille.

Wilma a aussi lâché à Rose que les graffitis antisémites étaient une idée de Wade Harper, qui voulait frapper un grand coup et agir contre les ennemis du Christ : les Juifs et ce Beckman.

Mais ce qui a le plus marqué Rose, c’est la foi qui anime Wilma Wright.Selon elle, les baptistes, quand ils sont « sauvés » le sont une fois pour toutes. Le révérend Stone fait partie de ces heureux élus « sauvés », qu’importe ce qu’il puisse faire, ou ce qu’il ait déjà fait.
En me racontant cela, Rose avait l’intime conviction que le révérend Calvin Stone avait abusé de Wilma et peut-être aussi de la jeune Elsie Henderson. Elle a croisé Eben Wright en quittant Wilma et a eu une sale impression : il y avait quelque chose d’anormal chez lui.
Comme chez Veronica.

Mardi 11 juillet 2023

J’ai très mal dormi.

Je sais que le Dormeur sur le Seuil s’agite.

Combien de temps encore avant la confrontation ?

J’ai passé la journée à préparer le départ de Dorothy pour l’hôpital de Wabash. Elle doit passer des examens ce jeudi.

Puisse ce nuage sombre au-dessus de nos têtes se dissiper…

Rose m’a appelé et m’a raconté qu’elle était allée voir Wade Harper, sous un faux prétexte. La foi de ce dernier en Brother Nate est totale. Ce dernier réside chez les Harper, mais elle n’a pu le rencontrer.

Jeudi 13 juillet 2023

Hier soir, j’ai demandé à Sondra si elle pouvait emmener Dorothy à Wabash, pour son examen, demain matin. Je n’ai pas pu lui dire pourquoi je voulais les éloigner, toutes les deux et ai prétexté un problème à régler.

Quand la voiture a disparu au coin de la rue en fin d’après-midi, j’ai gardé la main levée durant quelques instants. Sondra a pris Dorothy en charge de bon cœur mais je sens qu’elle m’en veut de ne pas lui avoir dit pourquoi je restais ici.

Si seulement elle savait que c’est pour les protéger que je les laisse s’éloigner…

J’ai songé écrire un petit mot à l’attention de Sondra, au cas où… mais que pourrais-je y dire ? Je préfère qu’elle ne sache rien de ce que je dois affronter.

Vendredi 14 juillet 2023

Rose est arrivée hier soir, en début de soirée, alors que j’étais seul avec Raven. Nous l’attendions. Le moment était venu.
Elle a composé le numéro de Wade Harper et a demandé à parler à Brother Nate.

- Nathaniel ? Nous savons qui vous êtes. Vous devez partir, quitter cette ville.

Un rire lui répondit :

- Mon Royaume n’est pas de ce monde, Town Marshal. Que m’importent les vivants.

Je pris la parole, espérant que ma peur ne s’entendait pas dans ma voix :

- Ça suffit, Nathaniel, ou quoi que vous soyez. Je vous attends !

Quelques instants plus tard, une silhouette se profilait devant la maison. J’ouvris la porte et découvris notre ennemi. C’était un bel homme, diablement charismatique, mais dans son regard, je voyais la même chose que ce que j’avais entrevu chez Veronica.

- Bonsoir, Michael. Tôt ou tard, nous devions nous rencontrer.

- Nate.. ou quel que soit votre nom. Nous savons ce que vous êtes, répétai-je. Shonokin...

Il eut un sourire sinistre.

- Nous étions là avant vous, avant même que les humains ne vivent sur ces terres. Nous serons encore là quand vous ne serez plus que poussière. Vous ne pouvez nous abattre.

Je serrai les poings.

- Je ne vous laisserai pas faire.

- Lorsque j’aurai détruit ton esprit…

Il laissa sa phrase en suspens, tandis que son visage se modifiait, devenant plus horrible. Je rivai mon regard dans le sien et plongeai au fond de mon esprit. Soudain, il n’y eut plus rien. Les ténèbres, mes vieilles amies, nous entouraient de toute part et nous n’étions que deux halos se faisant face, perçant à peine la noirceur. Son assaut fut brutal, mais je l’avais anticipé et vacillai à peine. Puis je me jetai sur lui, convoquant en esprit l’aide de ceux qui étaient avec moi. Rose, qui tenait la main de Raven et se tenait prête.

Raven, qui psalmodiait et dont la voix traversait les ombres. Et Willie, à la fois loin et proche, que je sentis jeter toutes ses forces dans la bataille.

Michael, tu veux bien me raconter ce qui s’est passé, selon toi ?

Derrière son bureau, qui me paraît immense, caché dans la fumée de sa cigarette, le docteur attend en me souriant. Je baisse la tête un instant, puis bafouille :

- Je.. je ne me rappelle plus, monsieur.

Malgré moi, les larmes me sont montées aux yeux. Dans ma tête, là où étaient rangés mes souvenirs des derniers jours passés avec mes copains, il n’y a plus qu’un immense trou noir.

Je ferme les yeux et me concentre, pour fouiller les ténèbres, tandis que l’homme en blouse blanche parle.
… ce n’est pas grave, Michael. L’esprit humain adopte parfois des scénarios d’échappement, pour affronter des situations traumatiques…

Derrière le rideau des ténèbres, je sais que C’est là. Des flashes parcourent mon cerveau, je vois des arbres, la terre sous mes pieds et, plus loin, ce trou dans le sol… je ne suis pas seul, mes amis sont là, eux aussi, ainsi que cet homme qui travaille à la Middle School.
… maintenir le traitement pendant plusieurs semaines encore, mais d’ici peu, tout ceci ne sera même plus un vilain souvenir.

Le Docteur conclut son exposé par un sourire à l’adresse de ma mère, puis allume une nouvelle cigarette.


Je frappai, avec mon esprit, envoyant vers l’ennemi toutes les forces à ma disposition.

La chose devant moi vacilla, puis s’affaissa et disparut : les ténèbres me parurent moins épaisses. Au loin, j’entendis un long bip sifflant et je sus alors que, à des miles de là, le cœur de Willie venait de s’arrêter, dans une chambre de l’hôpital de Wabash.

Je tombai à genoux les yeux clos, épuisé.

Je propulsai ce qui me restait de forces vers l’esprit de Willie, en me concentrant sur des images du passé.

Le bip se tut enfin : son cœur redémarra.

Rose a filmé la scène et me l’a racontée peu après : Nathaniel est tombé à genoux brutalement, quelques instants avant moi et son visage s’est tordu, n’ayant plus rien d’humain. Quand je me suis écroulé, elle s’est précipitée vers moi et il en a profité pour disparaître. Tout autour de nous, je sentais des remous, comme si nous étions au cœur d’une tempête psychique.

Chez elle, Veronica Wood hurla de douleur quand ses mains tordues par l’arthrite se rappelèrent à elle. Elle ne souvient de rien de ce qui s’est passé les jours précédents.

Eben Wright reprit conscience et cria le prénom de sa fille, en réclamant son bourbon.

Ali et Steve Henderson virent, impuissants, leur fille Elsie convulser au milieu du salon, sourde à leurs prières.

J’ai sombré dans un sommeil sans rêves et n’ai émergé qu’au petit matin. J’ai appris que Rose est allée chez les Harper, où elle a découvert une Nancy dont l’univers s’était en partie effondré. Puis elle a rendu visite au révérend Stone, qui a prétendu avoir chassé Brother Nate.

Quand mon téléphone a sonné, en milieu de journée, j’ai tâché de prendre une voix assurée pour répondre à Sondra et, dès ses premiers mots, j’ai compris.

- Mike, tout va bien pour Dorothy… Il n’y a aucune récidive, les docteurs sont formels.

J’ai bafouillé quelque chose et ai compris qu’elles seraient là dans quelques heures.

Jeudi 3 août 2023

Que fais-tu dans la cuisine, Mike ? Et toi, Vera ? Vous seriez mieux à côté.

Je me suis installé ici tant bien que mal, ce matin. D’ordinaire, je profite du confort du salon pour répondre au courrier et prendre des nouvelles du monde extérieur. A côté de moi, Raven lit un vieux roman, perchée sur un tabouret. Sondra pose sa main sur mon bras et me regarde, inquiète.
- Je… je préfère être ici, ai-je répondu.

Dorothy hoche la tête. Elle sait que je ne dis pas toute la vérité, mais ne sait pas pourquoi.

Le salon me fait horreur. Pourtant j’ai passé plusieurs jours, au printemps dernier, à en arracher le vieux papier peint avant de repeindre les murs. Mais, depuis que j’ai affronté cette chose, j’ai l’impression que la pièce est restée souillée et y séjourner plus de quelques minutes me met mal à l’aise.

Sondra entre dans le salon. Elle hausse les épaules.

-Peut-être qu’en changeant le décor… murmure-t-elle.

La congrégation baptiste de Whitby a traversé, ces dernières semaines, des heures troubles. Le révérend Stone a succombé à une crise cardiaque hier. Il emporte avec lui ses démons. Wade Harper assurera finalement le rôle de guide de cette église. Il faut se méfier des faux prophètes, selon lui. Si seulement il savait à quoi nous devons faire face. La guerre ne fait que commencer.
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Un nouvel épisode commence (le dernier de la saison 2) :

Journal de Mike Beckman

Whitby, jeudi 9 novembre 2023

Hier, Ray m’a contacté au sujet de mon prochain roman, que je dois livrer bientôt. Pour la première fois de ma carrière, j’ai avoué que je n’avançais pas aussi vite que je le souhaitais.

Ces derniers jours, j’étais en alerte mais Halloween est passé sans que rien ne se manifeste à Whitby. Notre ennemi, le No Man’s Land, n’a pourtant pas rendu les armes, je le sens.

Raven habite toujours chez moi. Nous allons régulièrement rendre visite à Willie, qui est toujours dans le coma, à l’hôpital d’Indianapolis. Son état est stationnaire, selon les médecins. Dans quelle contrée ténébreuse te bats-tu, mon vieil ami, mon maître ?

Cette ville est calme, presque trop calme. Le seul événement notable est le départ de Bill Epstein et de sa famille, qui partent vivre à Indianapolis. Il a fermé son agence immobilière, après avoir vendu tous les biens de son portefeuille. C’est un homme riche qui quitte Whitby.

C’est aussi un morceau de mon passé qui s’en va. Celui qui fit de ma scolarité un enfer et avec qui je m’étais réconcilié.
A une vingtaine de miles de la ville, le projet Dreamland a pris corps. Un grand resort de verre et d’acier est sorti de terre, sans qu’on en sache la réelle vocation.

Whitby change et, parfois, revient en arrière.

Un chien aboyait, au-dehors, tout près. Je ferais mieux d’aller faire un tour, afin de voir si les quelques idées dans mon crâne allaient se décider à se coordonner.

Dorothy est entrée dans le bureau, hésitante :

- Je ne te dérange pas, Mike ?

- Pas du tout… je mettais mes notes en ordre.

Je chiffonnai la page à peine sortie de l’imprimante et l’envoyai vers la corbeille, ratant largement un panier pourtant immanquable. Décidément, ce chapitre était bien rétif et mes aptitudes sportives n’allaient pas en s’arrangeant.

- Les Bishop… ils sont revenus.

- Buster, ai-je murmuré.

Je reconnaissais maintenant les aboiements du chien, un peu plus proches. Alors que j’allais ouvrir la bouche, le carillon résonna. Alan Bishop, flanqué de son fidèle labrador, me rendait visite. Quelques instants plus tard, nous partagions un café. Lui et Laura avaient repris possession de la grande maison voisine et souhaitaient nous inviter, Rose et moi, pour le dîner. Ils avaient à nous parler, mais la situation était complexe et notre entretien devait être confidentiel.

Peu après son départ, j’ai appelé Rose pour lui faire part de l’invitation. J’ai beau savoir qu’Alan aime se draper dans le mystère, le retour des Bishop m’intrigue et Rose est aussi curieuse que moi. Elle m’a rappelé dans l’après-midi pour m’annoncer un scoop : le célèbre Aiden Wise, magnat de la tech et, accessoirement petit-fils du sinistre Professeur Wallenquist, va venir à Whitby pour plusieurs jours. Evidemment, cela doit rester confidentiel.

Ça commence à faire beaucoup de secrets pour une seule journée.

Tandis que Rose allait mettre à jour les plannings de son équipe pour les jours à venir, j’ai voulu prendre l’air. Mes pas m’ont naturellement mené jusqu’à la bibliothèque, comme souvent. Sondra et moi avons profité de ce beau jour d’automne pour marcher dans Whitby. Puis, je suis rentré à la maison : Raven m’y attendait, visiblement en proie à l’angoisse.

Un mauvais pressentiment l’étreignait. Et si quelque chose se passait ? Si l’ennemi remontait à l’assaut ? Elle ne se sentait pas de taille, sans Willie.

J’ai essayé de la détromper : elle devait faire confiance à ses intuitions et possédait plus de forces qu’elle ne pensait. Si Willie l’avait choisie, ce n’était pas pour rien. Pour la rassurer un peu plus, je lui proposai d’aller rendre visite à notre vieil ami, à l’hôpital, le lendemain. Mes arguments portèrent, même si j’avais du mal à y croire totalement. Raven me raconta qu’elle avait fait un de ses cauchemars qui n’augurait rien de bon et qui n’avait rien à voir avec les rêves qu’elle partageait avec Willie : elle errait dans un labyrinthe de couloirs froids, avant de se retrouver face à une porte semblable à celles des sous-marins. Que signifiait cette vision ?

J’ai un mauvais pressentiment. Il est temps pour moi de me préparer : les Bishop vont nous attendre. Ils se sont pliés à notre coutume du dîner à 18 heures.

(plus tard)

Après avoir épuisé les banalités d’usage autour d’un excellent dîner, Laura et Alan ont fini par lâcher les raisons de leur retour. Il n’est évidemment pas étranger à la venue d’Aiden Wise à Whitby. Ce dernier arrive demain et privatisera à cette occasion l’Hoosier Hotel. Il visitera évidemment Dreamland, le mystérieux institut sorti de terre non loin de Whitby. Et si les Bishop sont revenus, c’est parce que Laura va travailler à Dreamland, où elle sera cheffe de projet. A mots couverts, elle a expliqué qu’elle compte ainsi garder un œil sur ce qui se trame là-bas, mais est mal à l’aise à ce sujet.

Pour ajouter au mystère, Alan a déclaré qu’Aiden Wise souhaitait nous rencontrer, Rose et moi, suite aux événements que nous avions vécu avec les Bishop, mais sans pouvoir nous en dire plus.

(à suivre)
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

(suite du dernier épisode de la saison 2, intitulé DREAMLAND)

Whitby, vendredi 10 novembre 2023

Après avoir épuisé les banalités d’usage autour d’un excellent dîner, Laura et Alan ont fini par lâcher les raisons de leur retour. Il n’est évidemment pas étranger à la venue d’Aiden Wise à Whitby. Ce dernier arrive demain et privatisera à cette occasion l’Hoosier Hotel. Il visitera évidemment Dreamland, le mystérieux institut sorti de terre non loin de Whitby. Et si les Bishop sont revenus, c’est parce que Laura va travailler à Dreamland, où elle sera cheffe de projet. A mots couverts, elle a expliqué qu’elle compte ainsi garder un œil sur ce qui se trame là-bas, mais est mal à l’aise à ce sujet. Le projet en question était mené par un certain Professeur Kessler, qu’elle va seconder.

Pour ajouter au mystère, Alan a déclaré qu’Aiden Wise souhaitait nous rencontrer, Rose et moi, suite aux événements que nous avions vécu avec les Bishop, mais sans pouvoir nous en dire plus.

Alan s’est interrompu un instant et a regardé son smartphone : Aiden Wise et April McNeil, sa girl-friend, venaient d’être aperçus à l’aéroport d’Indianapolis. Les choses se précipitaient.

Il me semble évident que Wise veut évoquer avec nous le No Man’s Land, puisqu’Alan a évoqué l’expérience vécue par Laura ainsi que ce qui s’est produit avec Ms Friday, à l’Hoosier Hotel. Alan a conclu en insistant : nous serons tenus au secret par contrat, et rien ne devra filtrer de notre échange avec Wise. Rose a ricané : comme si elle avait besoin d’un contrat pour garder secrète l’existence du No Man’s Land. Nous sommes repartis sans en savoir beaucoup plus.

Le milliardaire Aiden Wise, qui séjourne actuellement dans notre petite ville, refuse toute entrevue à la presse locale. Pourtant, les habitants de Whitby sont en droit de savoir pourquoi le nabab de la high tech est ici : on se doute bien qu’il n’a pas succombé au charme de notre jolie région. Espérons qu’il n’ait pas en tête de bâtir quelque monstrueux datacenter. https://whitbydaily.us/blog/

Whitby, samedi 11 novembre 2023

Whitby a rarement connu pareille agitation : la venue de Wise bouscule ma petite ville. A mon retour d’Indianapolis, j’ai eu un appel d’Alan Bishop. Aiden Wise nous recevra demain pour le brunch, à l’Hoosier Hotel. Sans doute devrais-je m’estimer honoré. La vérité est que j’ai peur, mais que j’ignore de quoi.

En attendant de rencontrer un des « grands hommes » de notre foutue époque, j’ai cherché quelques informations sur ce Professeur Kessler et sur April McNeil, qui ont tous les deux leur fiche Wikipédia. Celui qui va mener le projet dans lequel Laura va s’embarquer m’a fait tout l’air d’un charlatan doté d’une intelligence pouvant le rendre dangereux. Quant à Ms McNeil, elle a tout de l’influenceuse-type, capable de vendre une fortune l’eau de son bain.

J’ai consacré une bonne partie de la soirée à éplucher Borderlands, l’un des ouvrages de Kessler. Il y développe une théorie selon laquelle il existe une hyper-réalité, connectée à notre réalité via des territoires interstitiels (sic), les fameux borderlands. Selon Kessler, cette hyper-réalité peut être partagée par des réseaux cérébraux. Un frisson désagréable m’a parcouru, parce que tout cela ressemble à quelque chose que je ne connais que trop bien.

ALVIN KESSLER http://storygame.free.fr/WHITWIK1.jpg

Evidemment, Kessler est édité chez Pyramid, qui fait partie du groupe Wise. Et Pyramid est un ogre, qui a englouti quantité de maisons d’édition, de toutes tailles, sans jamais être rassasié. Dont Hexham House. Mon éditeur.

J’ai refermé le portable brutalement, comme s’il allait s’en prendre à moi. Ma peur a une forme, et je ne connais que trop bien cette forme.
Maintenant, je sais de quoi j’ai peur.

AVRIL McNEIL http://storygame.free.fr/WHITWIK2.jpg

Whitby, dimanche 12 novembre 2023

Mr Macey, le gérant de l’Hoosier Hotel, n’en revient pas. Non seulement, le grand Aiden Wise a privatisé tout son établissement, mais il lui a aussi fait miroiter un rachat et une entrée dans son empire. Quand il nous a guidé jusqu’à la porte de la salle, il n’avait rien à voir avec l’homme qui nous avait accueillis lors d’un certain Halloween.

Un certain Max, chargé de la sécurité, nous a fouillés avant de nous confisquer nos portables et de nous laisser entrer, après un clin d’œil complice à Rose, qui a haussé les épaules. Dans la salle à manger, Aiden Wise était attablé, entouré de sa garde rapprochée. A ses côtés, j’ignorais si April McNeil, dissimulée derrière ses lunettes noires, nous prêtait attention. Laura se tenait à l’écart et nous destina un mince sourire. Un jeune homme s’approcha, une tablette à la main : il se nommait Alexander Liebermann et était l’avocat de Wise. Avant d’avancer, nous avons dû signer un accord de confidentialité, que j’ai lu avant de le parapher. Rien ne sortirait de cette pièce.

Nous nous assîmes, face à Wise. Il était vêtu simplement, mais quelque chose irradiait de lui. Il prit la parole en me fixant, tandis que Liebermann s’éclipsait.

Wise avait de grands projets pour Whitby et ses environs. Il alla droit au but : le but de cet entretien était de nous proposer d’entrer dans le groupe Wise.

Que diriez-vous d’être le nouveau Stephen King, Mike ? J’aimerais beaucoup adapter la trilogie Coleman au cinéma.


J’aurais dû m’y attendre, le coup était habile, mais prévisible.

Je suis flatté, monsieur Wise. Mais il y a déjà un Stephen King, vous savez…

Pensez à ce que je vous propose, Mike. Monsieur King n’est pas éternel.


Ray m’aurait tué s’il avait été là. J’étais en train de refuser un pont d’or pour lequel n’importe quel écrivain se serait damné.

Les écrivains ne meurent jamais, monsieur Wise.

Touché, lâcha-t-il.

Pendant que je me demandais si je n’avais pas fait la plus grosse connerie de ma vie, Wise se tourna vers Rose et commença d’évoquer Dreamland. Ce lieu, où les rêves allaient pouvoir être explorés, avait besoin d’un responsable de la sécurité et elle ferait parfaitement l’affaire, étant donnée son expérience passée. Il griffonna quelque chose sur une serviette qu’il glissa en direction de Rose, que cette dernière repoussa sans la regarder.

Ne venions-nous pas de refuser ses caprices à un enfant gâté qui avait l’habitude de voir le monde plier devant lui ? Wise n’avait pas dit son dernier mot.

Venez à Dreamland mardi. Alors vous pourrez décider.


(à suivre)
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