(CR de l'épisode 4 - signé, comme toujours, FaenyX

)
Journal de Michael Beckman
Whitby, 31 octobre 2022
Premier Halloween à Whitby depuis mon retour. Les mômes n’ont cessé de défiler depuis cet après-midi. Si seulement les horreurs avec lesquelles ils s’amusent ce soir…
L’ambiance de la ville est étrange. Mais cette impression vient sans doute de ce que je sais, de ce que j’ai vécu depuis mon retour.
Évidemment, la sortie cette semaine de mon dernier roman ajoute à la tension que je ressens. Comme chaque fois, je commence à travailler sur un prochain livre, pour oublier momentanément le précédent. J’ai envie de parler de…
- Halloween… la nuit où les portes de l’autre monde s’entrouvrent… J’ai lu ça dans un bouquin sur le folklore américain, déclara Nigel.
Autour du seau de confiseries, nous le regardons sans ciller. L’autre monde en question nous a déjà donné un aperçu de ce qu’il est. Les gosses qui défilent depuis quelques heures dans les rues de la ville ne savent pas ce qu’ils évoquent. Ce soir, notre tournée est finie et le salon est à nous.
- Mais Halloween, c’est aussi ça!
Nigel brandit fièrement la cassette VHS du film de Carpenter et ajoute immédiatement :
- Et ça !
Le deuxième volet des méfaits de Michael Myers sort du sac de Nigel. Nous l’applaudissons !
- Et, enfin…. Ça !
Et le troisième épisode, fraîchement sorti en vidéo, surgit à son tour. Nous n’avons jamais su comment Nigel réussissait à louer les VHS de ces films que nous étions trop jeunes pour regarder. Mais, cette nuit là, le gang of four a eu son content de glucose et de films d’horreur.
Whitby, 2 novembre 2022
Si je racontais ce que la nuit d’Halloween nous a fait vivre, on ne me croirait pas. D’ailleurs, ce ne serait pas plus mal. Mais je vais tenter de tout retranscrire ici, parce qu’il le faut.
Tout a commencé vers 23 heures, ce soir-là, ce fichu soir d’Halloween.
Alors que j’écrivais ce journal, mon téléphone a sonné : le numéro de Miss Friday, la documentaliste de Stranger Stuff, s’est affiché. Je la croyais partie depuis dix jours, après notre entretien. En me demandant pourquoi elle appelait à une heure pareille, j’ai décroché.
- Zak ?
- Bonsoir, Miss Friday, Mike Beckman à l’appareil…
Elle s’était trompé de contact et bredouilla une excuse, mais la panique dans sa voix, entrecoupée de sanglots, m’a empêché de raccrocher.
- Mike ? Je suis à l’hôtel...et il veut me tuer… il est devenu fou ! Mike, je suis vraiment dé…
Elle a poussé un grand cri, il y a eu un bruit sourd et on a raccroché.
L’hôtel ne pouvait être que le Hoosier Hotel, le seul de Whitby. J’ai fait ce que n’importe quel citoyen normalement constitué n’aurait pas fait. J’ai sauté dans la voiture et, tout en appelant Rose, ai foncé là-bas, en essayant d’éviter les mômes qui parcouraient encore les rues.
Notre nouvelle Town Marshal était déjà en route, prévenue par les gérants de l’hôtel. Je lui expliquai tant bien que mal que Frederica Addams, alias Miss Friday, m’avait appelé, pourquoi je la connaissais. J’entendais déjà la sirène de son véhicule.
Que se passait-il dans cette foutue ville, ce soir ?
Rose et moi sommes entrés ensemble dans le hall du Hoosier Hotel. Là, les deux propriétaires, Phil et Terry Macey, ainsi que leurs employés, Linford Lucas et Gillian Knapp, nous accueillirent avec soulagement. Leurs regards se dirigeaient vers l’escalier menant à l’étage. Une voix d’homme se faisait entendre, ainsi que des chocs sourds.
- Mike, tu restes là. J’y vais.
Rose gravit les escaliers quatre à quatre, taser en main, tandis que je restais avec les témoins. On défonçait une porte, là-haut.
- La chambre 12… c’est là, chuchota Linford. Ils sont là depuis quinze jours, sans aucun problème, et là…
- Police ! Mains en l’air !
La voix de Rose se fit entendre, là-haut. Elle était entrée dans la chambre 12 et découvert un homme brun, visiblement fou furieux, en train de défoncer la porte. Il se tourna vers elle, un sourire malsain sur le visage. Autour de lui, tout était en désordre sur le sol.
Sans hésiter, la Town Marshal déclencha le taser. Sous la décharge, l’homme tituba, puis se jeta sur elle, avec des gestes désordonnés. Tous deux roulèrent au sol. L’homme était animé par une énergie hors du commun et Rose dut sortir son pepper spray, puis lui en vaporiser une bonne dose pour qu’il la lâche. Elle se redressa, puis lui envoya une seconde décharge de taser pour qu’enfin, il s’immobilise. Elle le menotta au radiateur du couloir, puis retourna dans la chambre 12.
Dans la salle de bain, une jeune fille prostrée sanglotait, visiblement choquée.
- Qu’est-ce que c’est que tout ce chahut ?
Dans l’encadrement de la porte, le locataire de la chambre 15 faisait montre de son mécontentement. Il fut rapidement renvoyé dans sa chambre par Rose qui m’appela alors. J’arrivai après la bataille, mais soulagé : la policière n’avait rien et avait réglé la situation avec talent, une fois de plus.
J’entrai dans la salle de bain. Frederica Addams leva la tête et me tendit la main. Je l’aidai à se relever et nous nous assîmes tous les deux au bord du lit. Elle fondit alors en larmes contre moi, à des lieues de la jeune journaliste pleine d’assurance que j’avais rencontrée une dizaine de jours plus tôt.
L’homme étendu dans le couloir était Paul Karminski, le fameux investigateur psychique de Stranger Stuff. Quand Miss Friday put parler, nous comprîmes qu’il avait ouvert la porte de séparation entre leurs deux chambres et s’était jeté sur elle, comme s’il était défoncé. Il criait « cours Friday, cours ! » et semblait en proie à une folie meurtrière.
Bientôt, le docteur Maxwell arriva et prit la jeune femme en charge, tandis que nous nous tournions vers Karminski, qui revenait à lui. Il semblait émerger d’un cauchemar et ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Dans sa chambre, Rose ne trouva rien de répréhensible. Le whisky et les médicaments sont encore autorisés, dans l’Indiana…
Quand Ward, l’adjoint de Rose, arriva enfin pour lui porter assistance, elle lui confia Karminski, afin qu’il le place en cellule pour la nuit et lui fasse passer les tests de détection de drogues. Puis, elle se tourna vers le docteur Maxwell. Miss Addams avait besoin de repos mais craignait de passer la nuit dans sa chambre, après ce qui s’était passé.
Je proposai de l’accueillir pour la nuit et, bientôt, nous prîmes la route.
Durant le trajet, elle hésita plusieurs fois à appeler Loomis, mais je réussis à la convaincre d’attendre le lendemain. Il lui fallait avant tout du repos. Ensuite, viendrait le temps des décisions.
Minuit était passé lorsque Dorothy fit chauffer l’eau pour le thé. Elle avait accueilli Frederica sans chercher à comprendre ce qui s’était passé. Le temps que j’aille préparer la chambre d’amis, elles avaient sympathisé. Je restai un peu dans l’ombre, les observant.
Dire qu’il y a quelques mois, j’ignorais tout de Dorothy, belle-mère tombée du ciel, dont j’estimais maintenant ne plus pouvoir me séparer !
La nuit n’était pas terminée, cependant. Rose n’a pas chômé, pendant que nous accueillions Miss Friday. Elle commença par interroger les témoins de l’agression, Linford Lucas et Gillian Knapp. Si la réceptionniste était particulièrement choquée, le garçon d’étage se montrait plus loquace : fan de Stranger Stuff, il raconta avec force détails ce qu’il avait entendu. D’après lui, Karminski n’avait rien à envier au Nicholson de « Shining » quand il s’était pris à sa collègue : sa voix était déformée et son rire paraissait forcé, à mille lieues de la mine sombre qu’il affichait depuis son arrivée à l’hôtel. Dans les éclats de voix qu’il avait entendu, des mots revenaient : « Charlatan » , « Trucage ». En quittant l’Hoosier Hotel, notre Town Marshal était perplexe, mais pas au bout de ses peines…
Au poste de police, elle retrouva le Dr Maxwell, qui lui confirma que Karminski avait un taux d’alcoolémie important, mais qu’il n’était pas sous l’emprise de drogues. C’est alors que Maxwell raconta à Rose un souvenir d’Halloween qui prenait pour lui une résonance particulière. Des années plus tôt, il y avait eu, ce soir-là, un suicide à l’hôtel. Une femme s’était ouvert les veines dans sa baignoire, dans la chambre 13.
Depuis, comme pour conjurer le mauvais sort, cette chambre portait le numéro 14.
Celle où logeait Karminski.
Dans sa cellule, ce dernier expliqua à Rose qu’il ne se souvenait de rien. L’investigateur psychique, Karminski-the-ghostfinder, ricana amèrement et lâcha son secret à la Town Marshal : il n’était pas medium. Tout ça, Stanger Stuff et le reste, c’était du bluff.
Pourtant, depuis qu’il était à Whitby, il ressentait une drôle d’impression, comme si on l’épiait sans cesse. Pour la première fois de sa carrière, Paul Karminski sentait quelque chose. C’est pour cela qu’il avait voulu rester.
Il y avait quelque chose dans cette ville, une présence diffuse qu’il ressentait.
Ce soir, en se baladant dans ce patelin bizarre, il avait d’ailleurs croisé la femme de la chambre 13. Ils avaient parlé, lui et cette femme blonde un peu étrange, mais il ne se souvenait plus des mots qu’ils avaient échangé.
Épuisé, il s’allongea sur la banquette de la cellule. Rose s’installa dans son bureau, tout en gardant un œil sur le prisonnier, puis fouilla les archives. Elle trouva sans peine le dossier relatif à la suicidée de la chambre 13.
La chambre qui n’existait plus.
- Trick or treat !
Les gosses n’arrêtent pas de défiler dans la rue, depuis cet après-midi. C’est à qui aura le costume le plus effrayant et la plus grosse récolte de confiseries.
Halloween est un jour particulier, pour un écrivain d’horreur, comme on me définit parfois.
C’en est un. Ce jour-là, je reste cloîtré chez moi. Tout l’éclairage de mon appartement de Brooklyn est allumé, pour ne laisser aucune place à l’ombre. Alors que tout le monde autour de moi joue à se faire peur, je suis pétrifié par l’angoisse et je ne sais pas pourquoi.
En 2013, l’hôtel s’appelait encore le Whitby Hotel et appartenait à Mr Grant. La femme qui avait choisi la chambre 13 pour mettre fin à ses jours le soir d’Halloween était une certaine Mary Clarke, alias Meredith Clare, puisqu’elle exerçait, elle aussi, le métier de medium.
Elle avait été en vue dans les années 2000 et avait publié plusieurs ouvrages, à l’époque, avant de tomber dans l’oubli, dépassée par les nouveaux arrivants du secteur. En fouillant sur internet, Rose découvrit que Meredith Clare évoquait des « messages positifs de l’au-delà » Elle était venue à Whitby, attirée par de vieilles affaires un peu étranges, dont l’affaire White, du nom de ce jeune garçon disparu sans laisser de traces.
Nigel White.
La nuit n’en finissait pas, comme si l’aube n’osait pas se montrer et délivrer enfin Whitby. Vers 4 heures du matin, Rose reçut un appel de Linford Lucas, l’employé de l’Hoosier Hotel. Il se passait quelque chose à l’étage. La chambre 14 était devenue la chambre 13 et, derrière la porte, on entendait des bruits étranges.
Quand elle m’appela, je ne dormais toujours pas. Nous nous rejoignîmes à l’hôtel, maudissant tous les deux cette fichue nuit d’Halloween.
Octobre 1983 : c’est le premier Halloween pour le gang of four. En traversant le quartier de Greenwood, nous sommes passés devant le vieux cimetière et, d’un coup, mon sang s’est glacé. J’ai jeté un œil sur le côté et j’ai vu que Nigel, dans son costume de Comte Dracula, avait lui aussi senti quelque chose.
- On devrait pas traîner ici, les gars…
La voix de Sondra, d’habitude assurée, est hésitante. Nous changeons de trottoir et accélérons le pas. Je fixe un point loin devant moi, pour ne pas me retourner, pour voir ce qui nous suit.
Ted m’a confié, quelques jours plus tard, qu’il l’avait vu aussi, à la limite de son champ de vision.
A l’entrée de l’hôtel, Gillian Knapp nous accueillit, désemparée. Linford était monté à l’étage, afin de filmer ce qui se passait dans la chambre 13. Sans réfléchir davantage, nous grimpâmes l’escalier quatre à quatre.
La porte de la chambre 14 était remplacée par une autre porte, vermoulue et arborant son numéro 13. Des bruits de raclements se faisaient entendre et un rai de lumière passait par l’entrebâillement. Linford était entré. A l’intérieur, quelqu’un chantonnait. Le cœur battant, nous entrâmes.
Le décor n’avait rien à voir avec celui de tout à l’heure. Les murs étaient couverts de moisissure et de taches noires. Les ténèbres grignotaient chaque recoin de la chambre. Sur le fauteuil délabré, quelqu’un était assis et nous attendait.
- Meredith Clare, murmura Rose.
La femme nous fixa, un sourire mauvais sur le visage.
- Salut, Mike. Des nouvelles de Nigel ?
Mon sang se glaça dans mes veines. Je voulus répondre crânement, mais ne put que bafouiller, tandis que la femme se tournait vers Rose :
- As-tu vu le Wendigo, récemment ?
Le No Man’s Land, il était là, devant nous. Je sentis une onde glacée me parcourir de la tête aux pieds, comme si quelque chose voulait s’emparer de moi. Je m’accrochai : nous y étions déjà allés, et en étions revenus.
La chose qui avait le visage de Mary Clarke continuait :
- J’avais envie de m’amuser un peu, de passer de l’autre côté. Chaque année, à la même date, je vous rends visite.
Son visage changeait par ondulations, ce n’était plus la femme qui était morte ici quelques années plus tôt. Rose et moi posâmes la même question en même temps :
- Où est Linford ?
L’émanation devant nous ricana :
- Il prend un bain !
Sans réfléchir davantage, nous bondîmes vers la salle de bain. Le jeune homme était dans la baignoire, à demi immergé dans une eau rouge de sang. Il était plus pâle qu’un linceul. En quelques instants, il fut sorti de l’eau et nous fîmes des garrots de fortune sur ses poignets avec les serviettes de toilette.
L’ombre était toujours là, mais n’avait maintenant plus rien d’humain. Rose se tourna vers elle :
- Mary ! Mary Clarke !
Un frémissement parcourut la chose. Mon amie avait visé juste et le pouvoir devant nous cessa de se répandre, comme le sang des plaies de Linford.
- Mary Clarke, vous étiez une fraudeuse, vous aussi… cette chose vous a piégée !
Nous nous regardâmes : autour de nous, la pièce semblait se déformer. La créature voulait nous capturer et nous emmener avec elle quand la pièce disparaîtrait.
- La guerre va bientôt avoir lieu… Ils vont revenir, tous, le Veilleur sur le Seuil, le Moharahani, les hommes en gris, l’Agence, les Shonookins, Ceux qui étaient là avant les êtres humains. Vous périrez tous !
Les murs et le sol de la pièce me parurent se plier puis se déplier, comme soumis à des forces et des lois hors de ma portée. La tête me tourna un instant, puis, quand j’ouvris les yeux, je découvris autour de moi le décor de la chambre 14.
De l’autre côté du mur, des cris se firent entendre, presque rassurants : le client de la chambre 15 hurlait son exaspération. Je crois que j’aurais pu l’embrasser.
- Hey, Ted !
La fenêtre à l’étage s’est ouverte et le visage de Teddy s’est dessiné dans l’obscurité. J’avais chuchoté, mais dans la nuit tombante, j’avais l’impression d’avoir crié.
- C’est bon, je descends, Mike, a-t-il répondu, avant de commencer à descendre le long de la gouttière, souple comme un chat.
Je n’en menais pas large et mon cœur battait la chamade jusqu’à ce qu’il me rejoigne.
- T’inquiète, mes parents sont devant leur émission. On pourrait casser la vaisselle sans qu’ils entendent. T’es prêt ?
J’ai hoché la tête. Dans mon sac, j’avais tout l’équipement nécessaire à l’opération. Nous avons commencé à marcher en silence, comme deux ombres. Puis, nous avons allumé nos walkies-talkies.
- Nigel, tu nous reçois ? A toi, a appelé Ted.
- Red Leader à Gold Leader, bien reçu. On a des noms de code, Ted. A vous.
- Gold Leader à Red Leader, désolé. On sera sur place dans cinq minutes. Où en êtes-vous ? A vous.
- Red Leader à Gold Leader : Cerbère fait la sieste, la voie est libre. A vous.
Ce soir-là, nous nous sommes faufilés jusqu’à la vieille bâtisse et avons fait ce qu’il fallait.
En rentrant, peu avant l’aube, j’ai jeté mon sweat-shirt déchiré et taché de sang. J’ai pansé tant bien que mal la plaie sur mon bras. Au matin, j’ai prétexté une forte fièvre pour ne pas aller en cours et j'ai dormi toute la journée. Personne n’a jamais su ce que nous avions affronté, pendant cette nuit d’Halloween...
Le Docteur Maxwell n’a pas beaucoup dormi, cette nuit-là. Quand nous sommes redescendus dans le hall de l’hôtel, nous lui avons confié Linford, plus mort que vif et il a fallu peu de temps pour qu’il l’accompagne dans l’ambulance, vers l’hôpital de Wabash.
- Karminski !
N’importe quel être humain se serait écroulé de fatigue dans le premier fauteuil venu et j’étais à deux doigts d’en faire autant. Mais Rose n’allait pas se reposer maintenant.
Le faux medium de Stranger Stuff était seul dans sa cellule et la chose qui s’en était prise à nous n’allait pas lâcher cette proie si facilement.
Alors que je restais à l’hôtel, pour veiller sur Gillian Knapp et les époux Macey, elle fonça jusqu’au poste de police, le cœur battant la chamade, espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Quelques minutes plus tard, son numéro s’afficha sur mon smartphone :
- Mike, je l’ai trouvé inconscient, il est blessé… il y avait une tache de sang sur le mur, elle est revenue… la femme de la chambre 13.
J’entendais derrière sa voix le bruit du moteur. Comme pour répondre à ma question, elle ajouta :
- Je l’emmène à l’hôpital.
Le jour se lève, sur le parking du Wabash General Hospital. Le Docteur Maxwell s’approche de Rose Wu, un gobelet de café à la main. Ils restent silencieux un long moment, contemplant le ballet des ambulances.
- Cette ville est malade, Town Marshal.
Rose hoche la tête, puis avale une gorgée de café.
- Docteur, il faut que vous sachiez quelque chose…
C’est ainsi que le Docteur Maxwell apprit l’existence de la chambre 13 et du No Man’s Land. Il ne parut pas surpris. Après tout, en bon praticien, il avait pu observer tous les symptômes de la maladie. Il ne lui restait plus qu’à mettre un nom sur celle-ci.
Le soleil se leva lentement, comme s’il rechignait à éclairer ce morceau de terre...
Alors que le mois de novembre n’avait que quelques heures, le fameux Zak Loomis a fait son apparition à Whitby, mis au courant des derniers événements par Frederica. Il était flanqué d’un individu que j’identifiai immédiatement comme étant son avocat.
Il me serra la main en affichant son plus beau sourire et ajouta :
- Cette ...triste affaire ne doit pas s’ébruiter, Mr Beckman. J’imagine que vous le comprenez.
Miss Friday me fit ensuite ses adieux, en me jetant un dernier regard où je lus à la fois le regret et la peur. Elle tenta de sourire, mais ne produisit qu’une grimace maladroite.
- De toute façon, Stranger Stuff, c’est terminé, déclara Loomis, fièrement.
Devant mon regard interloqué, il ajouta :
- Je ne peux encore rien révéler, mais ce sera une grande nouvelle !
Quand leur voiture de location s’éloigna, je n’avais plus qu’une envie : dormir une centaine d’années.
Whitby, 17 novembre 2022
Il nous a fallu quelques jours pour récupérer de cette nuit d’Halloween, à Rose et à moi. Et puis, la vie a repris et ce que nous avons vécu pendant ces heures s’est lentement dissous, comme les détritus s’évacuent dans les caniveaux.
J’ai reçu tout à l’heure un appel de Miss Friday. Elle a parlé de Loomis, pour qui les choses alalient au mieux, puisqu’il animera bientôt un show télévisé sur le câble : Paranormal States of America. Puis, la gorge serrée, elle m’a annoncé que Paul Karminski était mort trois jours plus tôt, victime d’une overdose. Quant à elle, ce chapitre de sa vie allait bientôt se refermer : elle ne voulait plus travailler avec Loomis, ni approcher de près ou de loin ce genre d’affaire.
En raccrochant, je lui ai souhaité le meilleur, mais je sais que les cauchemars, eux, ne dorment jamais.
Whitby, 24 novembre 2022
Pour mon premier Thanksgiving depuis que je suis revenu à Whitby, Dorothy a mis les petits plats dans les grands. Cette femme délicieuse avait invité tous ceux qui me sont devenus chers ici. Autour de nous, se trouvaient Rose, Sondra, mais aussi Lex, Luke, Raven et Willie.
Dehors, un vent froid soufflait sur la petite ville, mais il semblait épargner notre petite assemblée, aujourd’hui.
Avant le repas, Rose et moi avons parlé avec Willie, de ce que la chose nous avait dit dans la chambre 13, la chambre qui n’existait pas.
- Shonookins, répéta-t-il, comme frissonnant sous l’effet d’une sensation désagréable.
Puis le sage Willie se tourna vers nous :
- Quant à l’Agence, ces gens qui n’existent pas, officiellement… cette Agence, je la croyais démantelée depuis plus de vingt ans.
Il fixa Raven qui hocha la tête et conclut :
- Nous en reparlerons...quand nous serons prêts.
J’entendis Dorothy appeler : il était temps de passer à table. Une odeur délicieuse nous parvenait de la salle où des rires joyeux se faisaient entendre.
L’hiver vient sur Whitby, sur ma ville. Qui sait ce que nous réserve 2023 ?