Publier cette citation dans cette section, c'est un peu de la trollitude, non ?
Si encore le propos était récent, mais ça fait une bonne dizaine d'années que cette citation est reprise à l'envi.
Il est parfaitement légitime de ne pas aimer l'œuvre de Tolkien, d'en critiquer les faiblesses, de vouloir écrire une fantasy originale et de défendre une esthétique différente.
En revanche, que ce soit par provoc ou par sottise, il est assez consternant d'écrire de telles âneries, qui déforment (et diffament) complètement l'œuvre et la pensée de Tolkien. C'est de la provoc, bien sûr ; une provoc qui est d'ailleurs assaisonnée d'arguments spécieux qui éclairent sur l'honnêteté intellectuelle de Ch. Miéville.
Tiens, relevons quelques outrances, procès d'intention et insinuations spécieuses :
China Miéville a écrit :
Son oeuvre est massive
En fait, non. Pas tant que cela. De son vivant, Tolkien a publié deux romans, un recueil de poèmes, trois nouvelles et un essai – hors publications universitaires en relation avec son travail de chercheur.
Le Silmarillion a été publié de façon posthume après avoir été partiellement condensé et réécrit par son fils. Par la suite, Christopher Tolkien a publié les éditions critiques de ses œuvres inachevées dans leurs différentes variantes, mais on est là à mi-chemin entre l'œuvre de fiction et le travail de recherche littéraire. En fiction pure, l'œuvre de Tolkien n'a rien de massif.
J'en veux pour preuve cette comparaison : de son vivant, Tolkien a publié six œuvre de fiction, y compris trois textes courts. Je compte déjà au moins douze titres dans la bibliographie de China Miéville. Si l'œuvre de Tolkien est massive, que dire de celle de Miéville ?
China Miéville a écrit :
Son oeuvre est […] contagieuse
Et voilà : la métaphore filée (kyste, abcès, virus) pathologique. Qui en dit long sur le ton polémique et vindicatif de Miéville. L'œuvre de Tolkien est incontestablement transtextuelle et a exercé une influence majeure sur le courant : depuis quand est-ce une tare ? On peut reprocher aux suiveurs de manquer d'originalité, mais en quoi l'originalité de l'œuvre fondatrice est-elle répréhensible ? Miéville déplace sur l'auteur initial l'exaspération qu'il éprouve contre la Big Commercial Fantasy qui l'a imité. Quel discernement ! Ou bien il veut tuer le père. Quelle originalité !
China Miéville a écrit :
sa suffisance wagnérienne
Très amusant que Miéville emploie le terme de suffisance à propos de Tolkien dans un propos si grossier et arrogant…
Quant au caractère "wagnérien", voilà encore une belle ânerie. Tolkien lui-même a réfuté toute correspondance entre l'Anneau souverain et le Ring wagnérien. Et pour cause : il s'est inspiré de la littérature médiévale norroise, où la distribution d'anneaux est une largesse qui manifeste le pouvoir d'un seigneur. Mais comme Tolkien et Wagner ont puisé dans le même imaginaire issu de la littérature médiévale nordique, Tolkien devient wagnérien aux yeux de Miéville. Notre polémiste confond donc la cause et la conséquence. Ou bien, de façon plus malhonnête, il exploite la source d'inspiration commune pour sous-entendre que comme Wagner, Tolkien véhicule un imaginaire germanique proto-nazi. Un contre-sens complet. C'est d'autant plus malhonnête que Miéville, de façon contradictoire, insiste ensuite sur le volet moral de l'œuvre tolkienienne.
China Miéville a écrit :
ses aventures bellicistes en culotte courte
On voit que Miéville a tout lu. Et tout compris. A peu près tous les personnages bellicistes dans l'œuvre de Tolkien provoquent des catastrophes et connaissent une fin tragique. (Voir Fëanor, Turin Turambar, Thorin, Saroumane, Boromir…)
Quant à l'expression "en culotte courte", j'imagine qu'elle se rapporte aux hobbits.
Le Hobbit est effectivement un roman pour la jeunesse. Qu'en est-il du
Seigneur des Anneaux ? Du
Silmarillion ? Des
Enfants de Hurin ?
China Miéville a écrit :
son amour étriqué et réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques
Là encore, Miéville a tout compris et tout lu. Tolkien a noté lui-même que le "vrai héros du
Seigneur des Anneaux" était Sam, soit un hobbit jardinier. D'ailleurs, à la fin du roman, le roi restauré s'agenouille devant deux hobbits (dont le fameux jardinier), puis les installe sur son trône. Quel "amour étriqué et réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques" !
En outre, les récits du Silmarillion montrent régulièrement des transgressions dans les hiérarchies sociales (mariages entre espèces, Turin traité en fils adoptif par Thingol). Tolkien se disait lui-même plutôt de sensibilité anarchiste (de façon très personnelle, on en conviendra) et V. Ferré me confiait il y a quelques mois que Christopher Tolkien était un cas assez particulier de millionnaire d'extrême-gauche…
China Miéville a écrit :
sa croyance en une moralité absolue qui confond morale et complexité politique.
Quand Miéville aura lu les essais de Verlyn Flieger, Leo Carruthers ou Tom Shippey montrant la façon dont Tolkien réfléchit sur la mort, la question théologique du mal (en particulier en s'inspirant de la pensée de Boèce) et la relation entre libre-arbitre et pouvoir, il pourra peut-être entrevoir que
Le Seigneur des Anneaux propose une méditation beaucoup plus nuancée que ses formules à l'emporte-pièce.
China Miéville a écrit :
mais Les clichés de Tolkien (elfes, nains et anneaux magiques) se sont répandus comme des virus.
Encore une fois, confusion (délibérée ?) entre la cause et la conséquence. Sous la plume de Tolkien, elfes et nains n'ont rien de clichés car ils s'écartent radicalement des représentations de son époque. Quant à ses anneaux magiques… Là encore, création originale, métaphore de l'emprise du pouvoir sur les consciences. Ce sont les imitations (souvent assez pauvres) qui ont produit des clichés.
China Miéville a écrit :
Il a écrit que le rôle de la fantasy était de "réconforter", créant ainsi l'obligation pour l'écrivain... de dorloter le lecteur."
Quelle obligation ? D'où Miéville tire-t-il cela ? De son complexe d'infériorité face à l'influence exercée par Tolkien ?
Du Conte de fées n'est en rien un manifeste. Le procès d'intention est idiot ou spécieux.
Bref, pour toutes ces raisons, je filerai moi aussi la métaphore fessière, pour dire que je m'assois sur la diatribe acrimonieuse de Miéville.
Notez, elle aura eu un effet certain (depuis des années) : me dissuader de lire ses fictions.