[CR] Mystères à Whitby

Vous avez adoré Ça, Stranger Things ou E.T. ? Vous êtes nostalgique des années 80 ?

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olivier legrand
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[CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Re-hello à toutes et à tous !

Je recrée ce fil consacré à ma chronique actuelle de TTB, en repostant l'essentiel de son contenu. Voici la copie du post inaugural qui présentait la série et ses deux personnages-joueurs...


La série s'intitule donc Mystères à Whitby - une chronique de fantastique horrifique moderne, dans une veine assez Stephen King-esque, avec pour joueurs ma chère moitié Sylvie et un de mes meilleurs amis, Laurent alias FaenyX... :) qui est aussi le co-auteur de TRUCS TROP BIZARRES !

Comme vous le savez peut-être, TTB s'inspire en droite ligne de la série "Stranger Things", de "Ca" et de pas mal d'autres références des années 80. On y incarne normalement des gamins courageux et débrouillards, vivant dans la petite ville de Whitby (Indiana) et confrontés aux horreurs issues du No Man's Land, une dimension ténébreuse de cauchemar...

Mais pour "Mystère à Whitby", j'ai eu envie de m'éloigner un peu de cette formule de base, en situant l'action aujourd'hui, en 2022, et en utilisant nos règles additionnelles pour créer des persos adultes.

FaenyX incarne un écrivain d'horreur disons "moyennement connu", appelé Mike Beckman, tout récemment revenu à Whitby suite au décès de son père qui y était resté et avec qui il avait coupé les ponts - trop de mauvais souvenirs... il y a des problèmes à résoudre, une maison à retaper pour, peut-être, la revendre ou y rester etc. Mais le plus important n'est pas là : dès le début, nous avons décidé, avec Laurent, que son perso avait été, dans les années 80, un protagoniste type de TTB "version classique" et qu'il y avait vécu certains des scénarios écrits par Laurent lui-même pour le jeu (et publiés dans notre webzine gratuit "Stranger Tales").

Bref, Mike est un personnage "avec un passé" - et au-delà du côté délibérément King-esque de son profil et de son background, ce concept nous a permis (et va nous permettre) de jouer sur une forme de "mise en abyme" : Laurent étant celui de nous deux qui a presque entièrement imaginé le Whitby des années 80 (en gros, je me suis juste contenté de suggérer le nom, en référence au Dracula de Stoker...), il aura une parfaite connaissance de la petite ville... mais telle qu'elle était lorsque son perso était gosse. C'est en jeu qu'il découvrira, comme son perso, le Whitby des années 2020 - où beaucoup de choses ont changé (mais certaines pas du tout). Bref, le statut de créateur de FaenyX, loin de gêner son immersion dans la chronique, me permet, en tant que MJ, de jouer sur tout un tas de petits ressorts narratifs intéressants...

Sylvie, elle, incarne Rose Wu, une des policières de la petite ville, adjointe du shérif local (pardon, du town marshall, puisque c'est ainsi qu'on les appelle dans l'Indiana). Si le perso de Laurent est clairement enraciné de Stephen King, le modèle de Rose serait plutôt à chercher du côté (vous l'avez deviné) de Twin Peaks (et pour cause - j'y reviendrai d'ici quelques lignes) et de Fargo. Rose vient d'avoir 30 ans et se consacre entièrement à son boulot, loin de sa famille (qui vit à Seattle), récemment arrivée dans cette petite ville de l'Indiana après avoir oeuvré dans l'état de Washington puis dans le Nebraska. Comme Mike, qu'elle ne connait pas encore, Rose sait qu'il existe "des choses" venues "de l'autre côté" et, comme lui, elle a été confrontée à des événements horribles et surnaturels, mais beaucoup plus récemment (il y a quelques années, lorsqu'elle était en poste dans l'état de Washington, au nord de la côte ouest)... ce qui m'amène à la genèse un peu particulière de son perso...

A l'origine, Rose n'a pas été créée comme un perso de TTB mais improvisée en quelques minutes à l'occasion d'une partie du jeu de storytelling TALL PINES qui, comme ses initiales l'indiquent, est directement inspiré de Twin Peaks. Nous étions trois joueurs; Sylvie, notre ami Stéphane Adamiak et moi-même...et l'histoire qui s'est déployée d'elle-même en jeu, pleine d'échos de Twin Peaks mais aussi de TTB, s'est finalement soldée par un final bien horrifique, où le personnage de Rose (le protagoniste attitré de Sylvie) s'est finalement retrouvée dans le rôle de celle qui survit et qui réussit à arrêter le Mal par son courage. A la fin, nous étions vraiment emballés par cette histoire qui s'était presque créée d'elle-même et j'ai alors fait remarquer que Rose ferait vraiment un excellent perso de JDR - et voilà qui est chose faite, quelques années plus tard !

En attendant les CR des deux premiers épisodes, voici deux liens utiles :

- La page avec les règles de TRUCS TROP BIZARRES et les numéros du webzine (le tout 100% gratuit) Stranger Tales : la description du Whitby des années 80 se trouve dans le n°1 et les règles sur les perso adultes se trouvent dans le n°4, avec un addendum dans le n°6.

http://couroberon.com/site2/trucs-trop-bizarres/

- Le trombinoscope de base de la chronique (nous jouons toujours "avec photos"), qui contient les images des deux persos et de divers PNJ de leur entourage + les "notables" de Whitby.

http://storygame.free.fr/WHOSWHO.pdf

(je reposterai bientôt les CR remarquables de l'ami FaenyX sur nos deux premiers épisodes...)
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Voici donc, au format PDF, le CR par FaenyX du premier épisode, intitulé "Le Secret d'Amblin House":

http://storygame.free.fr/CRWHITBY1.pdf

Pour compléter votre lecture, voici quelques documents annexes:

- Les images des PNJ rencontrés lors de cet épisode (en complément du Who's Who posté précédemment)
http://storygame.free.fr/PNJWHITBY1.pdf

- Des aides de jeu : celle avec un titre en bleu était destinée aux joueurs; celles avec un titre en brun étaient plutôt des aides-mémoires qui m'étaient destinées en tant que MJ (l'envers du décor) mais certaines d'entre elles ont été remises aux joueurs à l'issue du scénario
http://storygame.free.fr/DOCWHITBY1.pdf

- Le clip de LULLABY, le morceau qui m'a inspiré l'intrigue de ce premier épisode, dans deux versions : l'original de THE CURE et l'excellente reprise de la très talentueuse CLARA DOXAL...
https://www.youtube.com/watch?v=ijxk-fgcg7c
https://www.youtube.com/watch?v=WtsKuB9rqfQ

- Les images de mon écran, côté joueurs:
http://storygame.free.fr/ECRANWHIT.pdf

A très bientôt pour le CR du deuxième épisode, "La Malédiction des Walton"... :mrgreen:
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Et voici donc le CR du deuxième épisode, "La Malédiction des Walton"!

http://storygame.free.fr/CRWHITBY2.pdf

Le troisième épisode n'a pas encore eu lieu - mais il est en préparation :)
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Troisième épisode ce soir...

Pour préparer un peu le terrain (il se passe toujours, pour les persos, quelques mois entre les épisodes), voici les deux textes d'intro que j'ai envoyés à mes joueurs pour ce troisième épisode :

http://storygame.free.fr/UPDATEROSE.pdf

http://storygame.free.fr/UPDATEMIKE.pdf
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Nous avons donc joué ce troisième épisode hier soir... et ce fut un super-moment de jeu de rôle, plein de tension dramatique et d'émotion...

Je vais évidemment laisser FaenyX (alias Mike Beckman) écrire le CR de cet épisode, qui touchait son personnage de très près mais vous pouvez, d'ores et déjà, jeter un oeil au scénario Making Plans for Nigel paru dans le n°1 de Stranger Tales (ça remonte déjà un peu)... et écrit par FaenyX lui-même. http://storygame.free.fr/ST1.pdf

Pourquoi donc ? Parce que l'épisode d'hier soir, intitulé Les Fantômes du Passé, constitue à la fois une suite et une mise en abyme de ce scénario : les événements de Making Plans for Nigel ont en effet été intégrés par FaenyX au passé de son personnage, qui les a vécus lorsqu'il avait 13 ans, en 1987 et qui ont été à l'origine d'un profond traumatisme. Nos deux premiers épisodes contenaient des allusions à ce vécu lointain mais cette fois-ci, j'ai décidé d'en faire l'élément central de l'histoire, dans une veine délibérément proche du "Ça" de Stephen KIng.

Encore une fois, le statut "autoral" de FaenyX changeait totalement la donne - et m'a permis, encore plus que les deux fois précédentes, de mettre son perso dans un rôle unique, que personne d'autre n'aurait pu jouer... avec pas mal de surprises au rendez-vous ! Eh oui, 35 ans plus tard, pas mal de choses peuvent changer...

Quant à Rose, le perso de Sylvie, elle ne fut pas en reste; grâce à sa "tête froide" (et bien posée sur ses épaules), Mike a pu affronter les démons de son passé - mais l'aventure a aussi réservé à notre policière son lot d'éléments personnels, avec un final que vous découvrirez bientôt.

Merci à mes deux formidables joueurs pour ce grand moment !
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

En route pour le CR du troisième épisode, intitulé Les Fantômes du Passé... CR écrit, comme d'hab, par l'ami FaenyX - que je remercie au passage pour son investissement et son talent !

NB : La première entrée, datée de Janvier 2022, a été rétrospectivement imaginée par FaenyX, en parfaite adéquation avec ce qui avait été joué lors du scénario (et ce qui avait été évoqué à l'occasion des épisodes précédents). Le scénario tel qu'il a été joué commence à la date du 4 Juin.

Journal de Michael Beckman

Whitby, 4 janvier 2022

J’ai rendu visite à Teddy, ce matin, à la faveur d’une éclaircie. J’avais décidé de marcher jusqu’à chez lui, malgré la neige, malgré le froid. J’ai chaussé les vieilles bottes d’hiver que Dorothy avait gardé et ai parcouru les rues de Whitby. C’est comme si cette ville avait rétréci avec les années, comme si elle s’était un peu plus recroquevillée sur elle-même : la distance qui séparait nos maisons me semblait plus importante quand j’étais gosse. De même, pas mal des bâtiments que j’ai longé au cours de cette marche me semblaient plus petits qu’ils ne l’étaient dans mon souvenir. Seuls les arbres paraissent avoir grandi.

Quand j’arrivai devant la demeure des Wilson, mes mains se sont mises à trembler. J’avais quelques pas à faire pour aller frapper à la porte, puis saluer Mrs Wilson et … revoir Ted.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, devant la maison où il vivait reclus, depuis toutes ces années. Puis la neige a recommencé à tomber.

J’ai sorti de ma poche la petite carte que j’avais préparée et l’ai glissé dans la boîte aux lettres, avant de tourner les talons. J’ai cru voir un mouvement dans les rideaux, quand je suis reparti.

Mais c’était sans doute ma vue qui se troublait, ou les premiers flocons de neige.

- Merci pour cette journée, Mike.

Dorothy paraissait fatiguée, mais ravie. Tôt le matin, nous avions pris la vieille Pontiac paternelle pour passer la journée à Indianapolis. Il y a quelques mois, je n’aurais jamais imaginé partager du temps avec ma belle-mère. En arrivant à Whitby, je me demandais combien de temps durerait notre cohabitation. Aujourd’hui, assis à côté d’elle sur la terrasse, je me rends compte que je n’imagine pas la vie ici sans elle.
Je terminai mon verre de citronnade et lui souris.

-Tu devrais mettre la chemise que nous avons choisie au magasin, ce soir. Elle te va bien.

Elle me lança un clin d'œil complice, tandis que je cherchais où elle voulait en venir.

- Ne t’inquiète pas, je n’écoute pas aux portes. Mais je sais que, ce soir, tu as un rendez-vous. Tu as regardé ta montre à tellement de reprises, aujourd’hui…

Vaincu, je levai les mains et ris de bon cœur.

- Miss Cooper ?

Je hochai la tête et elle sourit.

- Je suis contente pour toi… et pour elle aussi. Vous avez tellement de temps à rattraper, tous les deux.

- Tu sais, Dorothy, nous nous voyons comme le feraient de vieux amis…

Elle leva la main pour m’interrompre et eut un de ses énigmatiques sourires.

Whitby, 2 juin 2022

Les beaux jours sont là.

Ce matin, au téléphone, j’ai enfin pu rassurer Ray. Mon prochain roman est sur les rails et, cette fois, ce n’était pas un énième os à ronger que je lui donnais. En deux clics j’ai envoyé les trois premiers chapitres des « Persécuteurs » sur sa messagerie et ai senti, au ton de sa voix, que je lui ôtais une épine dans le pied. Il a rappelé deux heures plus tard, séduit et mettant déjà en place le planning de parution et de communication.
A Amblin House, un nouveau chapitre s’ouvre. Un nouvel éducateur, Martin Wallace, est entré en fonction, alors que l’établissement accueille deux pensionnaires : Eric Voight et Tavon Braxton. Je ne peux m’empêcher de garder un œil sur cette grande maison.
Tout semble aller pour le mieux, à Whitby.

Whitby, 4 juin 2022

Comme tous les samedis matin, Dorothy et moi prenons une petite heure ensemble. Au prétexte de l’aider dans son utilisation d’internet, je m’offre une parenthèse avec cette femme attachante et compréhensive dont je me demande ce qu’elle faisait avec mon père.
Je me suis levé tôt, arraché au sommeil par un terrifiant cauchemar. Dans ce dernier, nous étions tous les quatre, je crois. Sondra, Teddy, Nigel et moi...le Gang of Four, comme nous disions.

Dorothy était déjà debout et avait préparé le petit déjeuner. En attendant qu’elle me rejoigne dans le bureau, j’ai pris l’air, ma tasse de café en main. C’était une belle matinée, l’été approchait.

Quand la voiture de Rose s’est arrêtée devant la maison, une sirène d’alarme s’est mise à résonner dans mon cerveau. En voyant son visage, j’ai compris.

- Ted Wilson. Il s’est suicidé.

La tasse que je tenais a chuté, au ralenti et s’est écrasée au sol. J’étais KO debout, comme si on m’avait asséné un direct au foie. Je crois que si la jeune policière n’avait pas été là, je serais tombé à genoux.

Au travers du brouillard qui s’était abattu sur moi, j’entendis des mots : médicaments, whisky, lettre d’adieu.

Teddy, qui vivait en reclus depuis toutes ces années, que je n’avais pas réussi à aller voir, ces derniers mois et maintenant il était trop tard. Il m’aurait suffi de faire quelques pas de plus, de frapper à cette fichue porte et…

La main de Dorothy se posa sur mon épaule et posa dans ma main une tasse de café : je repris immédiatement contact avec le présent, tandis que Rose me tendait son téléphone : elle avait photographié la lettre laissée à ses parents par Teddy.

Maman, papa, je suis désolé.

J’ai vraiment essayé de tenir le coup. Je le jure. Mais le boulot, les pilules et le bourbon ne suffisent plus.

Il est revenu me hanter, dans mes cauchemars. Il joue à cache-cache avec moi, depuis neuf mois, pendant mon sommeil… Je sais qu’il m’attend, qu’il m’épie, avec ses yeux morts. Caché dans mes rêves mais je sais que c’est LUI. Même maintenant je suis incapable d’écrire ou de dire son nom. Trop de souvenirs. On a pourtant tout fait. Pourquoi maintenant, après toutes ces années ???

Questions sans réponse, nuits sans sommeil / Sommeils sans rêve

Ce serait si bon de pouvoir dormir mais sans rêver / IMPOSSIBLE

Dites à Sondra Cooper et à Mike Beckman qu’il va venir pour eux aussi. Dites-leur de se tirer d’ici avant qu’il soit trop tard. Peut-être qu’il ne pourra pas les atteindre, hors de Whitby. Mais pour moi, il n’y a plus rien à faire. Nulle part où aller. Le passé m’a rattrapé, à la fin.
Je suis tellement désolé. J’ai vraiment essayé.

Affectueusement

TEDDY


- Sondra. Il faut prévenir Sondra.

Dorothy répondit doucement :

- Je m’en charge, Mike. J’appelle Miss Cooper.

La voiture de Sondra s’est arrêtée devant la maison et elle a couru vers moi.

Ce n’est pas ainsi que j’imaginais notre étreinte, me disais-je, en l’entendant sangloter au creux de mon épaule, tremblante comme une feuille d’automne. Elle finit par me suivre et rejoindre Rose au salon. Elle commença à lire, elle aussi, la lettre laissée par Ted, mais renonça vite, les larmes aux yeux. En la regardant, Rose avait compris en même temps que moi : la douleur côtoyait la peur, chez Sondra. N’y tenant plus, elle se leva et se dirigea vers la porte :

- Je.. il faut que j’y aille. Désolée, Mike… je vais quitter Whitby pour quelque temps.

Stupéfait, j’essayai de la rattraper, mais elle avait fui comme si quelque diable était à ses trousses.

- Fais attention à toi… et appelle-moi, criai-je dans sa direction, avant de me sentir plus seul que jamais.

Saloperie de passé.


(à suivre)
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

(suite du compte-rendu de l'épisode 3, par FaenyX; les documents joints (voir ci-dessous) correspondent à des aides de jeu transmises au(x) joueur(s) pendant le scénario)

Whitby, 9 juin 2022


Voilà trois jours que c’est arrivé. Autour de nous, la vie continue.

D’après Peggy, son assistante, Sondra a quitté la ville hier pour aller chez une de ses sœurs, à Fort Wayne. Elle a évoqué un burn-out et j’ai préféré ne pas démentir cette thèse. Mes messages sont restés sans réponse et, dans ses pires moments, mon cerveau échafaude des hypothèses sinistres.
J’ai raconté à Rose ce dont je me souvenais, au sujet de la disparition de Nigel, des cauchemars que j’ai faits récemment, et aussi du fait que Sondra ne se souvienne apparemment de RIEN.

Elle m’a expliqué que d’après Fred Hurt, la population de Whitby souffrait d’un taux de suicide, de troubles du sommeil et de pertes de mémoires bien au-dessus des moyennes nationales. Le Docteur Maxwell parlait même du Syndrome de Whitby pour qualifier ces troubles. Aucune cause n’avait été mise en évidence pour expliquer ce phénomène.

A l’époque de la disparition de Nigel White, suivie de peu de celle d’Herbert Jones, Hurt était l’adjoint du fameux Burt Wesson, le town marshal de l’époque. L’affaire, l’un de ses rares échecs, l’a d’ailleurs hanté jusqu’à sa mort, en 1999.

J’ai rêvé de Nigel la nuit dernière. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?

http://storygame.free.fr/MIKEREVE1.pdf

Whitby, 11 juin 2022

Après ma conversation avec Rose, une idée saugrenue m’est venue. Parcourir les lieux de mon enfance, pour tenter de lever le voile de l’oubli tombé sur ma mémoire, ça m’avait semblé pertinent. J’ai longtemps marché, passant devant la maison où vivait Nigel, devant la Middle School et traînant même mes guêtres jusqu’à la vieille casse auto.

Je m’attendais à tout moment à voir surgir ou son doberman.

J’ai deviné, au loin, Fort Alamo, mangé par la rouille et les ronces, et finalement, j’ai tourné les talons. Tout ça était si loin.

Et puis, cette nuit, je me suis éveillé en hurlant, au point que j’ai du rassurer Dorothy arrivée en toute hâte. Cette fois, ce n’était pas la voix de Nigel, mais celle de quelque chose qui m’a terrifié.

http://storygame.free.fr/MIKEREVE2.pdf

En milieu de matinée, alors que j’émergeais péniblement, Rose a appelé.

Le Town Marshal Hurt avait fait une crise cardiaque, ce matin-là, dans son bureau. Il s’en était sorti grâce au massage cardiaque prodigué par Rose et était maintenant hors de danger. Elle lâcha une remarque sur l’incompétence de ses deux collègues, mais je l’interrompis :
- Rose, j’ai rêvé de Nigel de ce qui l’a pris. Ça m’appelle.

Ce soir, je ne dormirai pas, de peut que ce qui se trouve dans l’abîme ne regarde en moi.

Whitby, 12 juin 2022


Le soleil brille sur Whitby, ma ville.

Je n’ai pas dormi et, pour une fois, n’ai pas pu mettre à profit ces heures pour écrire.

A ce point de nervosité et d’angoisse, je doute de pouvoir boucler le roman promis à Ray, il y a peu.

Il y a quelques jours, Dorothy avait suggéré que nous organisions un pique-nique au bord du lac, comme le font tant de famille de Whitby, les dimanches ensoleillés. « Nous pourrions inviter cette gentille adjointe, ainsi que les jeunes gens dont tu parles si souvent… Miss Cooper, aussi. Qu’en penses-tu, Mike ? ».

Aujourd’hui aurait été le jour parfait, même plus rien n’est comme il y a quelques jours.

Comme si elle ressentait ce qui remue dans mon esprit et qui n’est pas très fréquentable, Dorothy passe finalement son dimanche à s’occuper des rosiers, gardant ses distances prudemment, mais me jetant de temps à autre un regard inquiet.

Mes pensées me ramènent sans cesse à ce qui s’est passé 35 ans plus tôt, à Nigel, qui disparut quelque part dans les bois, à cette chose là-bas.
Nigel…

En fin d’après-midi, la voiture de Rose s’est arrêtée devant la maison. Elle était accompagnée d’un homme sans âge, à la longue chevelure noire, indubitablement amérindien.

- Salut, Mikey, a-t-il dit, en me tendant la main.

- Willie ? C’est vous ?

En un éclair, je me suis souvenu de William Lowry, "Willie l’Indien" comme nous l’appelions alors, l’homme-à-tout-faire de la Middle School. Il avait été là lorsque c’était arrivé, je m’en rappelais maintenant.

Les années avaient passé doucement sur lui, qui avait quitté Whitby peu après la disparition de Nigel. Il me demanda de lui raconter mes rêves, puis hocha la tête :

- Le Moharahani… c’est lui, cette chose.

Willie se souvenait de toute l’histoire. Nigel, puis Herbert Jones, le vieil homme disparu lui aussi, avaient été attirés par une chose qui dormait depuis longtemps et s’était éveillée. Le Dormeur du Seuil, le Veilleur de la Fin des Temps, le Grand Dévoreur, le Moharahani, ses noms étaient multiples et il rôdait depuis longtemps, dans le No Man’s Land. Trente-cinq ans plus tôt, il s’était libéré de sa prison et avait pris des vies à Whitby. Dans cette ville se trouvait une brèche vers le Monde Noir et la chose s’y était faufilé.

En 1987, quelques courageux gosses, aidés par Willie et sa grand-mère, Tayaee, avaient procédé à un rituel venu du fond des âges. Ils avaient réussi à emprisonner le Moharahani, mais n’avaient pu sauver leur ami.

Le rituel n’avait été efficace que le temps d’une génération et, en septembre, la chose avait commencer à s’éveiller. Elle n’était plus la même qu’à l’époque, et se métamorphosait. Après avoir absorbé ses victimes, elle avait grandi : son réveil était tout proche.

Nous seuls pouvions l’empêcher de s’éveiller et l’endormir à nouveau, à défaut de le détruire.

Willie pointa son doigt vers moi, dans le même geste qu’avait fait, autrefois, sa grand-mère, au fond de sa caravane encombrée et enfumée.

La nuit est tombée. Il fait plus froid, d’un coup. Nous nous sommes glissés sous les branches et approchons en catimini .
- J’ai pris les jumelles de mon grand-père, chuchote Sondra. Il s’en sert quand il va à la chasse..
Nous écarquillons les yeux, espérant apercevoir quelque chose, dans l’obscurité. Rien ne bouge et les minutes s’égrènent, lentement. Autour de nous, la forêt est silencieuse, contre toute attente.
J’évite de réfléchir et d’imaginer ce qui se passerait si on nous découvrait, en pleine nuit, dans les bois, sur les indications d’une vieille femme sûrement centenaire. Nigel est tout près, nous le savons et nous n’avons pas d’autre choix.
C’est notre ami et cette chose l’a pris.
- Ça doit être là.
Sur le flanc de la colline, un vieil arbre arraché par la tempête récente masque mal une plaie béante dans le sol. Le faisceau de ma lampe n’éclaire même pas l’obscurité dans le trou devant nous. La main de Willie se pose sur mon épaule :
- Ne tardons plus.



Willie est reparti : nous procéderons au rituel dans trois jours. Il nous a donné rendez-vous au Wabash Lodge, un hôtel en banlieue de Wabash.

(à suivre)
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Re: [CR] Mystères à Whitby

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(suite et fin du compte-rendu des Fantômes du Passé)

Whitby, 15 juin 2022

Rose et moi sommes arrivés cet après-midi au Wabash Lodge. Durant le trajet qui nous a menés là, Rose m’a raconté qu’elle avait eu une entrevue avec le maire de Whitby, Paul Baxter. Le premier adjoint Ward Johnson, logique successeur de Fred Hurt au poste de Town Marshal, est d’une incompétence crasse et elle a appelé Baxter à ne pas le nommer en tant que premier policier de la ville.

Alors qu’elle s’attendait à recevoir une volée de bois vert, Rose a découvert que Baxter partageait son avis sur Johnson. Néanmoins, ce dernier est le neveu d’un des membres importants du town council : il reste un candidat sérieux.

Je suis épaté par le cran de Rose, dans cette ville où la moitié de la population la regarde encore de travers. J’ai vu son courage à plusieurs reprises, déjà. Il nous faudrait plus de Miss Wu, à Whitby.

J’ai, de mon côté, mis les jours qui se sont écoulés à profit pour écrire, mais je crains de devoir revoir ma copie, tant tout me semble pollué par cette chose qui hante mes nuits, cette trouille insensée.

Hier, Sondra m’a appelé. Sa voix m’a paru encore mal assurée et, quand elle a évoqué son retour d’ici une semaine, j’ai senti le doute grignoter cette promesse. Lorsque j’ai évoqué ma rencontre avec William Lowry, elle m’a expliqué qu’elle ne se rappelait pas de lui. Pourtant, je me souviens encore d’elle aux côté de Willie l’Indien, autrefois.

En arrivant au Wabash Lodge, nous avons eu notre première surprise. En demandant à l’accueil Mr Lowry, nous avons été amenés jusqu’au bureau du directeur de l’établissement. L’homme à tout faire de la Middle School avait fait fortune, troquant son jean sale et sa casquette contre un costume impeccable au passage. Willie nous a rapidement expliqué qu’il avait reçu de la part de Burt Wesson une part du trésor de Kurt Johnson, alias le Serpent, un bandit qui avait disparu dans les années 60, aux alentours de Whitby et qu’on n’avait jamais retrouvé.

Il avait ouvert le Wabash Lodge, un resort à la fois chic et pittoresque, dont le parking ne désemplissait pas. La clientèle venait ici se ressourcer et renouer contact avec l’âme de la terre, celle que foulaient autrefois les ancêtres de Willie.

Après son histoire, Willie a sorti de son tiroir une vieille lettre du Town Marshal Burt Wesson.

http://storygame.free.fr/LETTREWESSON.pdf


Il nous raconta tout ce que nous devions savoir sur le Moharahani. Cette chose n’agissait pour l’instant qu’à travers les rêves, créant un canal entre lui et ceux qui cauchemardaient. C’est cette nuit qu’il nous fallait nous rendre à la lisière de ce No Man’s Land, seuls dans le monde des rêves. Willie connaît le rituel, mais ne pourra pas nous accompagner.

La chose viendra à nous, sous l’apparence de Nigel.

- C’est toi qu’il veut, Mike. C’est toi qui devras agir.

Je vais dormir un peu en attendant minuit. Ici, les cauchemars ne m’atteindront pas. Et ce ne sont pas les dreamcatchers suspendus au-dessus du lit qui sont à l’œuvre. J’ai laissé sur la table de nuit une lettre pour Dorothy et une autre pour Sondra, si jamais…


Whitby, 16 juin 2022


Si quelqu’un, un jour, lit ce journal, il pensera être tombé sur les écrits d’un cinglé. Ça ne sera sans doute pas plus mal pour lui, d’ailleurs.

A minuit, Rose et moi avons rejoint Willie dans sa hutte de transe personnelle. J’étais prêt, enfin, aussi prêt qu’on peut l’être à pareille expérience. Un mélange de vapeur et de fumée avait envahi la tente circulaire où il nous attendait.

Tout en fredonnant une mélopée, Willie nous a tendu à chacun une écuelle contenant une décoction noirâtre. Sans poser de questions, Rose et moi avons trempé nos lèvres dans le breuvage, puis avons avalé le liquide : c’était amer comme une défaite. Willie continuait de psalmodier, tandis que nous nous efforcions de rester concentrés.

Puis ma vue s’est brouillé, et des fourmillements ont envahi mon corps. Peu à peu, j’ai cessé de discerner les formes autour de moi, puis, tout à coup, ma vision s’est éclaircie.

Rose et moi étions ailleurs.

Nous savions que nos corps étaient toujours dans la hutte, près de Willie, mais autour de nous, le décor avait changé. Rose était à mes côtés. Elle avait à la main son arme de service et une maglite, qu’elle avait réussi à emmener avec elle, sans doute à force de concentration.

A nos pieds, un chemin terreux se dessinait, nous l’avons suivi. Le paysage se dessinait au fur et à mesure de notre progression. Nous avons vu un grillage et des silhouettes métalliques.

- Fort Alamo, ai-je murmuré. C’est la casse, à la sortie de la ville, ai-je ensuite ajouté, à l’attention de Rose.

Une ombre s’approchait et s’apprêtait à se jeter sur nous. Le visage de la chose changeait, mêlant les traits de Burt Wesson et de Brad Kuttner. Rose fit feu et la créature se disloqua, disparaissant dans le sol boueux. Nous reprîmes notre route, nous frayant un chemin dans le labyrinthe de carcasses de voitures.

Rose s’arrêta alors, pétrifiée de peur.

- Il est là...le Wendigo.

Elle seule le voyait, comme si cet endroit se nourrissait de nos peurs. Je la saisis et elle reprit le contrôle d’elle-même. Peu à peu, le décor changeait : les épaves disparurent une à une, sauf une.

Devant nous, un vieux camping-car, mangé par la rouille et une mousse visqueuse.

- Fort Alamo.

J’avançai, suivi par Rose, progressant lentement, pas à pas. Le sol avait laissé place à une eau noirâtre. C’est alors qu’il apparut.
Un enfant, au teint cadavérique, se tenait face à moi.

- Mike

Je restai saisi le temps d’un battement de cœur, puis me revinrent les conseils de Willie.

- Tu n’es pas Nigel ! Nigel est mort ! MORT !

J’avais hurlé.

La chose tendit la main dans ma direction, devenant ectoplasme, se liquéfiant peu à peu.

Fort Alamo avait disparu, tandis que je continuai à crier. Autour de nous, se dessinait l’antre de la chose, dans les entrailles de la terre. Il s’empara de moi. Je sentis les bras de Rose m’agripper, sa maglite éclairant les parois de la caverne.

- La lumière, Mike, suis la lumière !

Dans un dernier effort, elle m’entraîna à l’extérieur, alors que le monde s’écroulait sur nous.

Nous ouvrîmes les yeux, dans la hutte, hébétés.

Willie nous empêcha de nous écrouler au sol, puis nous tendit à chacun un gobelet de café.

J’ai dormi jusqu’à midi, d’un sommeil sans rêves. Je ne me rappelle pas comment nous sommes arrivés dans nos chambres du Wabash Lodge. Avant de partir, nous sommes allés voir Willie.

Le rituel a réussi. Combien de temps tiendra-t-il ?

Il nous confia être inquiet : il était le dernier à connaître le rituel. Après lui, qui pourrait monter la garde. Rose et moi nous regardâmes un instant.

- Raven !

La jeune fille avait le don, elle pourrait succéder à Willie et suivre son enseignement. En souriant, ce dernier déclara :

- Cette nuit, j’ai rêvé que je marchais aux côtés d’une jeune femme. Je rencontrerai votre amie, cette Raven.

Whitby, 18 juin 2022


Il y avait peu de monde, à la cérémonie de crémation. Les parents de Ted étaient très dignes, quoiqu’anéantis, et me reçurent chaleureusement. Fred Hurt était là aussi, ainsi que Sondra.
Luke, Lex et Raven nous ont accompagnés. Ce fut l’occasion pour cette dernière de rencontre Willie, venu aussi.

Vint le moment de l’adieu à Teddy. Avec leur tact légendaire, les employés du funérarium s’approchèrent de Mr et Mrs Wilson. Il y avait visiblement quelque chose qui clochait. Je m’approchai.

- Que se passe-t-il ?

- C’est la musique que Teddy voulait pour partir. What a wonderful world...ces messieurs n’ont pas la version qu’il avait demandé…
Il me tendit un papier froissé, sans doute d’avoir été trop longtemps tenu en main.

- Ramones, vous connaissez, Mike ?

Je hochai la tête et sortis mon smartphone .

I see trees of green
Red roses too
I see them bloom
For me and you
And I think to myself
What a wonderful world!

I see skies so blue and clouds of white
The bright blessed days, the dark sacred night
And I think to myself,
What a wonderful world!

The colors of the rainbow, so pretty in the sky
Are also on the faces of people going by
I see friends shaking hands, saying, "how do you do?"
They're really saying, "I love you"

I hear babies cry, I watch them grow
They'll learn much more, than I'll never know
And I think to myself,
What a wonderful world!
Yes, I think to myself,
What a wonderful world!


Quand Joey Ramone se mit à chanter, il n’y avait plus un œil sec, dans l’assistance. Je me tournai un instant vers Sondra. Dans ses yeux, il n’y avait plus que le chagrin. La peur avait disparu.

Premier jour des vacances de l’été 1986 : nous sommes tous les quatre allongés dans l’herbe, devant Fort Alamo, avec chacun un casque de walkman sur les oreilles. Grâce à un bricolage de Ted, nous pouvons écouter tous en même temps la cassette de son Sony.
Cet après-midi là, les Ramones hurlent et nous reprenons en chœur leurs refrains. Si quelqu’un passe et nous entend, il se demandera ce qu’il prend à ces quatre gosses un peu bizarres.

Cet après-midi là, nous sommes ensemble et rien ne nous séparera jamais.

Cet après-midi là, la vie est belle.

Whitby, 25 juin 2022


L’été est là et, si on croit ce qu’en disent les plus anciens, il sera ensoleillé à Whitby.

Raven est partie à Wabash Lodge et semblait ravie de la nouvelle vie qui s’offre à elle. De son côté, Lex a fait ses valises et le Greyhound l’a emmenée à Indianapolis, où elle va pouvoir étudier, et oublier son passé. Nous avons longtemps regardé le bus gris métallisé devenir un petit point à l’horizon.

Quant à Rose, elle m’a raconté avoir rencontré une nouvelle fois Paul Baxter, le maire. Contre toute attente, ce dernier lui a proposé de devenir Town Marshal. Plutôt que de parachuter quelque flic muté là contre son gré ou, pire, de promouvoir Ward Johnson, le town council, a choisi le renouveau et, surtout, la compétence, à la quasi-unanimité. Seul l’oncle de Johnson n’a pas voté pour Rose, évidemment. Le Gouverneur lui-même a appuyé la candidature de l’adjointe Wu, le visage du nouveau Whitby.

Il n’y a qu’un bémol : elle devra garder Ward Johnson comme adjoint.

Cette nomination est ce qui pouvait arriver de mieux à cette fichue ville, maville.

L’été sera beau, à Whitby.
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Je remercie encore FaenyX pour ce super-CR d'une super-séance :mrgreen:

Quelques petites précisions à propos du rôle de ROSE durant leur incursion dans le monde onirique de l'entité, lors du rituel - précisions qui ne figurent pas dans le récit ci-dessus car celui-ci est écrit du point de vue subjectif de Mike. Le flingue et la maglite de Rose n'étaient pas des objets matériels (elle n'avait ni son arme de service ni sa torche avec elle lors du rituel) mais des accessoires symboliques de son avatar onirique, reflétant les deux façons dont elle pouvait aider Mike lors de cette immersion dans un territoire psychique lié au passé, aux souvenirs et aux peurs de l'écrivain : le flingue pour abattre les "monstres" hallucinatoires suscités par l'entité afin de forcer nos héros à se réveiller (ou, pire, de les endommager psychiquement) et la maglite pour revenir vers la lumière - et guider Mike vers cette lumière, afin que l'entité n'emporte pas la psyché de ce dernier avec elle, une fois replongée en torpeur...

Au cours de l'incursion, donc, l'entité tenta de séparer les deux intrus afin d'isoler Mike face à la vision du "faux" spectre de Nigel. De son côté, Rose a donc été assaillie par de terrifiantes visions - le fameux "Wendigo" évoqué par Mike dans son récit et aussi, juste après, une espèce de zombie cauchemardesque prenant alternativement les traits (mouvants et putréfiés) de Brad Kuttner (l'actuel proprio de la casse auto et la Bête Noire personnelle de Rose - voir notamment le CR de l'épisode 2) et du défunt (et presque légendaire) chef de la police locale Burt Wesson (voir de nombreux scénarios publiés dans Stranger Tales et situés dans le Whitby des années 80)...

Pour finir, deux petits bonus :

- Une sélection de quelques visuels utilisés lors du scénario : http://storygame.free.fr/NIGHTMARELAND.pdf

Vous y trouverez quelques portraits photos de PNJ ainsi que les images des "chimères horrifiques" ayant assailli Rose lors de son incursion dans le monde-cauchemar de l'entité (images que je me suis beaucoup amusé à produire avec l'AI Midjourney); les photos du fantôme de Nigel sont, quant à elles, tirées de L'Echine du Diable de G. del Toro.

- Un lien vers la version Ramones de "What a Wonderful World" - qui fut donc le morceau emblématique de ce troisième épisode (passé lors de la très émouvante scène du crématorium) : https://www.youtube.com/watch?v=wRMrAQuccEo

A bientôt pour de nouveaux Mystères à Whitby !
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Hello à toutes et à tous...

En attendant le CR de l'épisode 4 par Laurent, voici la suite du journal de son personnage - ces passages faisant référence à un intermède mené par mail entre l'épisode 3 et le 4, destiné à amener un de ses PNJ principaux. Les e-mails reçus par Mike et les "fausses pages web" sont dus à votre serviteur. :mrgreen:

Journal de Michael Beckman


Whitby, 4 juillet 2022

Si on m’avait dit, il y a un an, que je passerais la Fête Nationale dans une ville perdue du fond de l’Indiana, j’aurais sans doute ricané. Le New-Yorkais que j’étais alors a disparu et ses ricanements avec lui.

Dans le brouhaha, dans les cris et le rires, dans le vacarme du feu d’artifice, j’ai retrouvé une partie de mon passé. Partager un pot de pop-corn avec Sondra fut l’un des meilleurs moments de ces derniers mois. Les épreuves traversées récemment se sont retirées dans l’ombre, l’espace d’une soirée.

En rentrant à la maison, accompagné de Dorothy, je crois que je souriais.

Whitby, 10 juillet 2022

Chaleur écrasante, cette nuit.

Dans ma boîte mail, j’ai trouvé un étrange message. Ce n’est pas la première fois que des chasseurs d’étrange me contactent, persuadés que ce je raconte dans mes romans est vrai, mais ce Zak Loomis me semble différent.

Cher monsieur Beckman,

Permettez-moi, avant toute chose, de me présenter. Mon nom est Zak Loomis, producteur et principal présentateur de STRANGER STUFF, podcast vidéo consacré au paranormal et à l’étrange, dont vous avez peut-être entendu parler (ou même déjà suivi, ce qui serait un immense honneur !). Nous avons récemment franchi la barre des 100,000 abonnés, ce qui nous place devant PARANORMAL STATES OF AMERICA et presque à égalité avec INTO THE WEIRD…

Je me permets de vous contacter car nous comptons bientôt enregistrer une émission consacrée à votre petite ville de WHITBY et à certains des événements étranges qui émaillent son histoire, depuis la légende du Décharné (que je vois, personnellement, comme le prototype historique du futur Slenderman…) jusqu’aux récentes disparitions non-élucidées survenues autour du centre d’Amblin House. A priori, la mise en ligne serait prévue pour la fin de l’année – avec une réalisation courant Octobre.

Conformément à la tradition de STRANGER STUFF, nous comptons réaliser l’essentiel du contenu sur place… et c’est à ce titre que je me permets de prendre contact avec vous. En tant que natif de Whitby et, surtout, en tant qu’écrivain d’horreur à succès, vous pourriez apporter à notre épisode une plus-value certaine, à la fois sur le plan du « lore » local que par votre point de vue unique et, disons, « professionnel » sur l’étrange et le surnaturel. Et cela vous donnerait aussi une occasion privilégiée de parler de votre travail et de votre regard sur le réel… et l’irréel

En espérant que vous serez intéressé par ce projet,

Cordialement,
Zak Loomis

PS : Friday, notre documentaliste, est une fan absolue de vos romans ! Elle tenait absolument à ce que je vous le précise – voilà qui est fait !

Renseignements pris, Loomis fait partie de ces passionnés d’étrange dont le Net regorge. Son site web affiche un sommaire qui doit valoir son pesant de clics. En bas de son top 10, un nom m’a fait frémir:

WELCOME TO STRANGER STUFF
http://storygame.free.fr/STRANGERSTUFF.jpg

STRANGER STUFF - TOP TEN EPISODES!
http://storygame.free.fr/SSmostviewed.pdf

MEET THE STRANGER STUFF TEAM!
https://forum.rpg.net/index.php?forums/ ... ng-open.3/

Quitte à ne pas dormir, autant se renseigner : j’ai visionné les épisodes proposés sur le site. Ils sont du même tonneau que la plupart de ceux qu’on trouve dans ce registre : des vidéos tremblantes réalisés par de gentils allumés persuadés de côtoyer quelque chose lors de leurs expéditions. Mais, quelque part, dans un recoin de mon cerveau, un signal d’alarme s’est mis en marche. S’il n’y avait pas qu’à Whitby que ce No Man’s Land distille ses horreurs ? Et si Loomis et ses acolytes savaient quelque chose ?

De Mikebeckmann@aol.com
A :Zloomis@strangerstuff.com

Cher Monsieur Loomis,
j’ai bien pris connaissance de votre demande. Cela m’a donné l’occasion de découvrir votre activité
L’attention que vous apportez à mon œuvre et à la petite ville de Whitby me touche énormément. Je serais ravi de participer à l’une de vos émissions.
Cordialement,

M. Beckman


Il va falloir que j’en touche un mot à Ray, qui veut de plus en plus maîtriser la communication de ses auteurs. Cela dit, tel que je le connais, il sautera sur l’occasion : une promo pareille, ça ne se refuse pas. Mais lorsque viendra le moment de la rencontre avec l’équipe de Stranger Stuff, il me faudra être prudent, je le sais.

Ce fichu signal d’alarme continue de clignoter, au fond de mon crâne. Pourquoi ?

Bedford, 8 septembre 2021

L’après-midi n’en finit pas et je tâche de faire bonne figure malgré la chaleur étouffante qui m’accable. Sous mes doigts, le smartphone vibre quand la réponse de Ray me parvient. Oui, ma venue dans cette convention est nécessaire et non, il n’est pas question que je m’esquive, au risque de décevoir les lecteurs venus pour me rencontrer, même si ces derniers ont visiblement du mal à localiser cette petite ville du New Hampshire.

-Monsieur Beckman ? Je peux avoir une dédicace ?

Je relève la tête et affiche le sourire réglementaire, tout en tendant la main vers le livre que tient le jeune homme devant moi.

- Bien sûr… comment vous appelez-vous ?

- Ward.. mais mes amis m'appellent Moose.

Je commence à signer son exemplaire de “Man in the shadow” et lui lance un clin d’œil complice. Il se dandine d’un pied sur l’autre, mais ce n’est pas parce que je l’intimide. Puis, il finit par murmurer :

- C’est vrai, n’est-ce pas ?

- Pardon ?

- Ce que vous racontez dans vos livres, c’est la vérité…hein, Monsieur Beckman ?

Dans ses yeux brille une étrange flamme, où je lis un mélange d’exaltation et de soulagement. Un frisson glacial me parcourt le dos, malgré la température, sans que je comprenne pourquoi.

Je cherche mes mots, mais me contente de sourire à Ward, devant moi. Le temps se fige et la peur me paralyse, durant ce qui me semble une éternité. Puis je débite les formules habituelles, suffisamment rationnelles pour ne pas passer pour un cinglé et assez floues pour ne pas braquer mon interlocuteur. Ce jour-là, je ne sais pas si je crois à ce que je raconte.

Whitby, 18 août 2022

Clap de fin pour « Les persécuteurs », dont je viens d’envoyer le dernier chapitre à Ray, aux environs de 2 heures du matin. Je n’ai pas mis le nez dehors depuis presque deux semaines.

Pour célébrer cela et me remettre au contact des humains, Dorothy organise ce soir un barbecue, auquel elle a invité une vingtaine de personnes.

Whitby, 12 septembre 2022

L’équipe de Stranger Stuff m’a recontacté, en la personne de la fameuse Miss Friday, documentaliste du groupe. Elle arrivera à Whitby début Octobre, avec le « médium » attitré de l’équipe, Paul Karminski, afin de repérer les lieux et de prendre contact. La semaine suivante, Zak Loomis, la star de Stranger Stuff débarquera et procédera lui-même à mon interview, que Miss Friday et moi aurons préparé en amont.

Demain, cette ambassadrice de Stranger Stuff viendra sonner à ma porte. J’ignore toujours que penser d’eux.

Whitby, 13 septembre 2022

Au premier abord, Miss Friday (de son vrai nom Frederica Addams) a tout d’une jeune femme très sympathique et très professionnelle. Il est évident qu’elle a préparé sa venue : elle connaît déjà presque toute l’histoire locale. En préambule à notre entretien, elle m’a demandé de lui dédicacer son vieil exemplaire de « L’homme dans l’ombre », sans doute lu et relu, vu son état. J’ai cru déceler son visage un léger rougissement lorsqu’elle m’a avoué que c’était elle qui avait rédigé le premier mail qui m’était parvenu, et non Loomis. Avec le recul, elle m’a avoué avoir presque honte d’avoir eu recours à pareil subterfuge.

Après quelques échanges sur mes romans et l’histoire de Whitby, la jeune femme a orienté la conversation sur toute autre chose. Sans que je comprenne comment elle s’y était prise, Miss Friday a évoqué « l’affaire Nigel White ».

Un frisson a parcouru mon dos. Je me suis senti un instant comme un animal pris au piège. J’ai su à cet instant qu’avec son grand sourire, elle m’avait amené là où elle voulait m’amener depuis le début. Durant quelques secondes, qui m’ont paru une éternité, j’ai fixé mon interlocutrice. Dans ma tête, une voix me hurlait d’arrêter cette conversation tout de suite (elle sait ce qui s’est passé, tu es foutu, Mike !), tandis qu’elle évoquait le marshal Wesson (ils savent tout, déballe le morceau ou mets-la dehors) et racontait qu’une femme-médecine indigène (tais-toi, Mike, débarrasse-toi de cette fille) avait été impliquée dans ces événements (ils savent pour Nigel, pour toi, pour cette saloperie de No Man’s Land, mais qui sont ces gens ?).

Mon cerveau carburait à plein régime, mais j’étais incapable d’ordonner deux pensées. J’avais l’impression de dévaler une pente sans pouvoir me rattraper, certain de m’écraser au sol.

- Mr Beckman ?

Toute sourire, Miss Friday attendait que je déballe mes souvenirs. La petite voix me murmurait de me confier à elle, de tout lui dire (ça te ferait du bien, Mike, songe comme ce serait bon de partager ce fardeau) au sujet de Willie, de la chose sous terre, du rituel (ces gens t’écouteraient, eux, tu ne serais plus seul).

- Vous évoquez une époque lointaine...je n’étais qu’un gosse, alors, Miss Friday.

Je pris une grande respiration, puis détournai un instant le regard (tu as peur de te trahir, Mike?), avant d’expliquer que Nigel était un de mes meilleurs amis, et que sa disparition (sa mort, Mike, sa mort) m’avait profondément meurtri. Peu après, mes parents avaient divorcé et j’avais suivi ma mère à Indianapolis (Mike, tu n’oublies rien?).

- Je crains de ne pas me souvenir de beaucoup plus, hélas.

La voix s’était tue. La panique refluait, battue en brèche par la raison. Elle avait préparé sa venue et connaissait son dossier sur le bout des doigts, c’était tout. Il n’y avait pas d’autre explication.

Je me pensais sorti d’affaire. C’est alors qu’elle m’a questionné sur Amblin House et les récentes disparitions qui avaient eu lieu là-bas (elle sait tout). Elle savait que j’avais un lien privilégié avec certains des pensionnaires (tu ne t’en sortiras pas comme ça, Mike).

- Je pensais que nous allions parler de ma ville et de mes romans, Miss Friday ? Je ne suis pas sûr de pouvoir vous éclairer au sujet de ces disparitions…

Avec le temps, j’ai appris à faire façade, lors des rencontres avec les professionnels de l’édition, les journalistes ou le public. Mais, chaque fois, cette bataille en moi est incertaine (parle, Mike, elle sait quelque chose, ces gens pourraient t’aider, qui sait?). Elle insista, sans se départir de son joli sourire, qui aurait amené n’importe qui à lui confier ses pires secrets :

- Vous semblez bien connaître ces jeunes gens, qui furent au centre de cette affaire.

Je l’interrompis.

- Écoutez, Miss Friday. Je vois mal où vous voulez en venir. Je pensais que notre entretien tournait autour de cette ville et, accessoirement, de mes romans, pas de qui je fréquente ou ai fréquenté, il y a des années. Je pense que nous faisons fausse route.

J’ai essayé, tout au long de ma tirade, de garder une voix calme et de ne pas y laisser apparaître la moindre vibration d’agacement ou de peur. Après une pause, à la fois pour observer sa réaction, et pour vérifier que cette maudite voix n’allait pas revenir à la charge, j’avalai une gorgée de café, pour gagner encore quelques secondes. Il était froid.

- Je vais refaire du café. Une tasse ?

Lentement, mon cœur reprenait une cadence normale. J’espérais qu’elle ne s’était pas rendue compte de la panique qui m’avait envahi. Il me fallait rester calme et ne pas me mettre à dos l’équipe de Stranger Stuff. Un bad buzz serait désastreux, à quelques semaines de la sortie de mon dernier roman. Ray ne me le pardonnerait pas.

- Écoutez, Mike... Je peux vous appeler Mike, n'est-ce pas ? Ce sont vraiment ces sujets-là que Zak compte aborder en priorité lors de l'entretien... Bien sûr, on évoquera vos œuvres et votre regard unique d'écrivain mais au niveau, hum, rédactionnel, c'est ce "lore" de Whitby qui constitue notre vrai sujet... Bien sûr, tout ceci sera monté, on ne gardera pas tout…

Elle ne renoncerait pas, et n’était que l’ambassadrice de Loomis. Ce dernier et son équipe savaient déjà ce qu’ils venaient chercher à Whitby. J’étais pour eux le témoin idéal et ce que je pourrais dire allait être soigneusement sélectionné au montage, afin de valider leurs thèses (tu es piégé, Mike, ces gens sont plus malins que toi). J’abattis ma dernière carte :

- Encore une fois, Miss Friday, je crains de ne pas pouvoir vous apporter quoi que ce soit au sujet de ces affaires. Quant au montage final…

Je laissai passer le temps d’un battement de cœur :

- J’imagine que ma participation à votre reportage m’autorisera à donner mon aval à ce qu’il contient, me concernant… ou pas, d’ailleurs. Mon agent est très soucieux de mon image. Par les temps qui courent, vous comprendrez…

Pour la première fois depuis le début de l’entretien, Miss Friday perdit son beau sourire. Je compris alors qu’elle avait été missionnée par Loomis et pouvait difficilement revenir bredouille. Avant que ne revienne la voix dans ma tête, j’ajoutai :

- Je ne vous serai d’aucune aide pour le genre de reportage que vous envisagez. Nous nous sommes mal compris, je pense et j’en suis le premier navré. Cette rencontre aura au moins eu le mérite de nous permettre cet échange.

Je me suis demandé ce que Ray aurait pensé de cette soudaine assurance que j’affichais, lui qui déplorait mes lacunes en matière de relations publiques. Face à moi, sa tasse vide entre les mains, Miss Friday semblait sincèrement navrée, mais je pense qu’elle comprenait ma position.

-Je suis désolée que les choses n'aient pas été plus claires... je vais prévenir Zak... il risque d'être très déçu et...

Elle hésita un instant, puis reprit :

-Je comptais vous présenter Paul... Paul Karminski, notre investigateur psychique... il est descendu à l'Hoosier Hotel, lui aussi et il aurait bien aimé vous rencontrer... mais sans doute pour évoquer avec vous les disparitions d'Amblin House... Nous avons contacté la directrice du centre, miss...Kubasyk, c'est bien ça ? Mais elle nous a opposé une fin de non-recevoir... (avec un petit sourire triste). Elle n'a pas l'air très commode...

C’était, je l’espérais, la dernière perche qu’elle me tendait. Je levai la main, comme pour stopper d’un geste les ultimes arguments qu’elle m’envoyait.

- Restons-en là, si vous le voulez bien, Frederica.

Le ton que j’avais employé était à la fois ferme et poli. Miss Friday, malgré son acharnement, m’était sympathique (fais-le pour elle, Mike), mais ma décision était prise. Je songeai aux reportages de Stranger Stuff que j’avais déjà visionné sur le web et à mon impression d’avoir affaire à des charlatans, comme pour me convaincre de m’éloigner de ces gens au plus vite.
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

(CR de l'épisode 4 - signé, comme toujours, FaenyX ;) )

Journal de Michael Beckman


Whitby, 31 octobre 2022

Premier Halloween à Whitby depuis mon retour. Les mômes n’ont cessé de défiler depuis cet après-midi. Si seulement les horreurs avec lesquelles ils s’amusent ce soir…

L’ambiance de la ville est étrange. Mais cette impression vient sans doute de ce que je sais, de ce que j’ai vécu depuis mon retour.

Évidemment, la sortie cette semaine de mon dernier roman ajoute à la tension que je ressens. Comme chaque fois, je commence à travailler sur un prochain livre, pour oublier momentanément le précédent. J’ai envie de parler de…

- Halloween… la nuit où les portes de l’autre monde s’entrouvrent… J’ai lu ça dans un bouquin sur le folklore américain, déclara Nigel.

Autour du seau de confiseries, nous le regardons sans ciller. L’autre monde en question nous a déjà donné un aperçu de ce qu’il est. Les gosses qui défilent depuis quelques heures dans les rues de la ville ne savent pas ce qu’ils évoquent. Ce soir, notre tournée est finie et le salon est à nous.

- Mais Halloween, c’est aussi ça!

Nigel brandit fièrement la cassette VHS du film de Carpenter et ajoute immédiatement :

- Et ça !

Le deuxième volet des méfaits de Michael Myers sort du sac de Nigel. Nous l’applaudissons !

- Et, enfin…. Ça !

Et le troisième épisode, fraîchement sorti en vidéo, surgit à son tour. Nous n’avons jamais su comment Nigel réussissait à louer les VHS de ces films que nous étions trop jeunes pour regarder. Mais, cette nuit là, le gang of four a eu son content de glucose et de films d’horreur.



Whitby, 2 novembre 2022

Si je racontais ce que la nuit d’Halloween nous a fait vivre, on ne me croirait pas. D’ailleurs, ce ne serait pas plus mal. Mais je vais tenter de tout retranscrire ici, parce qu’il le faut.

Tout a commencé vers 23 heures, ce soir-là, ce fichu soir d’Halloween.

Alors que j’écrivais ce journal, mon téléphone a sonné : le numéro de Miss Friday, la documentaliste de Stranger Stuff, s’est affiché. Je la croyais partie depuis dix jours, après notre entretien. En me demandant pourquoi elle appelait à une heure pareille, j’ai décroché.

- Zak ?

- Bonsoir, Miss Friday, Mike Beckman à l’appareil…

Elle s’était trompé de contact et bredouilla une excuse, mais la panique dans sa voix, entrecoupée de sanglots, m’a empêché de raccrocher.

- Mike ? Je suis à l’hôtel...et il veut me tuer… il est devenu fou ! Mike, je suis vraiment dé…

Elle a poussé un grand cri, il y a eu un bruit sourd et on a raccroché.

L’hôtel ne pouvait être que le Hoosier Hotel, le seul de Whitby. J’ai fait ce que n’importe quel citoyen normalement constitué n’aurait pas fait. J’ai sauté dans la voiture et, tout en appelant Rose, ai foncé là-bas, en essayant d’éviter les mômes qui parcouraient encore les rues.

Notre nouvelle Town Marshal était déjà en route, prévenue par les gérants de l’hôtel. Je lui expliquai tant bien que mal que Frederica Addams, alias Miss Friday, m’avait appelé, pourquoi je la connaissais. J’entendais déjà la sirène de son véhicule.

Que se passait-il dans cette foutue ville, ce soir ?

Rose et moi sommes entrés ensemble dans le hall du Hoosier Hotel. Là, les deux propriétaires, Phil et Terry Macey, ainsi que leurs employés, Linford Lucas et Gillian Knapp, nous accueillirent avec soulagement. Leurs regards se dirigeaient vers l’escalier menant à l’étage. Une voix d’homme se faisait entendre, ainsi que des chocs sourds.

- Mike, tu restes là. J’y vais.

Rose gravit les escaliers quatre à quatre, taser en main, tandis que je restais avec les témoins. On défonçait une porte, là-haut.

- La chambre 12… c’est là, chuchota Linford. Ils sont là depuis quinze jours, sans aucun problème, et là…

- Police ! Mains en l’air !

La voix de Rose se fit entendre, là-haut. Elle était entrée dans la chambre 12 et découvert un homme brun, visiblement fou furieux, en train de défoncer la porte. Il se tourna vers elle, un sourire malsain sur le visage. Autour de lui, tout était en désordre sur le sol.

Sans hésiter, la Town Marshal déclencha le taser. Sous la décharge, l’homme tituba, puis se jeta sur elle, avec des gestes désordonnés. Tous deux roulèrent au sol. L’homme était animé par une énergie hors du commun et Rose dut sortir son pepper spray, puis lui en vaporiser une bonne dose pour qu’il la lâche. Elle se redressa, puis lui envoya une seconde décharge de taser pour qu’enfin, il s’immobilise. Elle le menotta au radiateur du couloir, puis retourna dans la chambre 12.

Dans la salle de bain, une jeune fille prostrée sanglotait, visiblement choquée.

- Qu’est-ce que c’est que tout ce chahut ?

Dans l’encadrement de la porte, le locataire de la chambre 15 faisait montre de son mécontentement. Il fut rapidement renvoyé dans sa chambre par Rose qui m’appela alors. J’arrivai après la bataille, mais soulagé : la policière n’avait rien et avait réglé la situation avec talent, une fois de plus.

J’entrai dans la salle de bain. Frederica Addams leva la tête et me tendit la main. Je l’aidai à se relever et nous nous assîmes tous les deux au bord du lit. Elle fondit alors en larmes contre moi, à des lieues de la jeune journaliste pleine d’assurance que j’avais rencontrée une dizaine de jours plus tôt.

L’homme étendu dans le couloir était Paul Karminski, le fameux investigateur psychique de Stranger Stuff. Quand Miss Friday put parler, nous comprîmes qu’il avait ouvert la porte de séparation entre leurs deux chambres et s’était jeté sur elle, comme s’il était défoncé. Il criait « cours Friday, cours ! » et semblait en proie à une folie meurtrière.

Bientôt, le docteur Maxwell arriva et prit la jeune femme en charge, tandis que nous nous tournions vers Karminski, qui revenait à lui. Il semblait émerger d’un cauchemar et ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Dans sa chambre, Rose ne trouva rien de répréhensible. Le whisky et les médicaments sont encore autorisés, dans l’Indiana…

Quand Ward, l’adjoint de Rose, arriva enfin pour lui porter assistance, elle lui confia Karminski, afin qu’il le place en cellule pour la nuit et lui fasse passer les tests de détection de drogues. Puis, elle se tourna vers le docteur Maxwell. Miss Addams avait besoin de repos mais craignait de passer la nuit dans sa chambre, après ce qui s’était passé.

Je proposai de l’accueillir pour la nuit et, bientôt, nous prîmes la route.

Durant le trajet, elle hésita plusieurs fois à appeler Loomis, mais je réussis à la convaincre d’attendre le lendemain. Il lui fallait avant tout du repos. Ensuite, viendrait le temps des décisions.

Minuit était passé lorsque Dorothy fit chauffer l’eau pour le thé. Elle avait accueilli Frederica sans chercher à comprendre ce qui s’était passé. Le temps que j’aille préparer la chambre d’amis, elles avaient sympathisé. Je restai un peu dans l’ombre, les observant.

Dire qu’il y a quelques mois, j’ignorais tout de Dorothy, belle-mère tombée du ciel, dont j’estimais maintenant ne plus pouvoir me séparer !

La nuit n’était pas terminée, cependant. Rose n’a pas chômé, pendant que nous accueillions Miss Friday. Elle commença par interroger les témoins de l’agression, Linford Lucas et Gillian Knapp. Si la réceptionniste était particulièrement choquée, le garçon d’étage se montrait plus loquace : fan de Stranger Stuff, il raconta avec force détails ce qu’il avait entendu. D’après lui, Karminski n’avait rien à envier au Nicholson de « Shining » quand il s’était pris à sa collègue : sa voix était déformée et son rire paraissait forcé, à mille lieues de la mine sombre qu’il affichait depuis son arrivée à l’hôtel. Dans les éclats de voix qu’il avait entendu, des mots revenaient : « Charlatan » , « Trucage ». En quittant l’Hoosier Hotel, notre Town Marshal était perplexe, mais pas au bout de ses peines…

Au poste de police, elle retrouva le Dr Maxwell, qui lui confirma que Karminski avait un taux d’alcoolémie important, mais qu’il n’était pas sous l’emprise de drogues. C’est alors que Maxwell raconta à Rose un souvenir d’Halloween qui prenait pour lui une résonance particulière. Des années plus tôt, il y avait eu, ce soir-là, un suicide à l’hôtel. Une femme s’était ouvert les veines dans sa baignoire, dans la chambre 13.

Depuis, comme pour conjurer le mauvais sort, cette chambre portait le numéro 14.
Celle où logeait Karminski.

Dans sa cellule, ce dernier expliqua à Rose qu’il ne se souvenait de rien. L’investigateur psychique, Karminski-the-ghostfinder, ricana amèrement et lâcha son secret à la Town Marshal : il n’était pas medium. Tout ça, Stanger Stuff et le reste, c’était du bluff.

Pourtant, depuis qu’il était à Whitby, il ressentait une drôle d’impression, comme si on l’épiait sans cesse. Pour la première fois de sa carrière, Paul Karminski sentait quelque chose. C’est pour cela qu’il avait voulu rester.

Il y avait quelque chose dans cette ville, une présence diffuse qu’il ressentait.

Ce soir, en se baladant dans ce patelin bizarre, il avait d’ailleurs croisé la femme de la chambre 13. Ils avaient parlé, lui et cette femme blonde un peu étrange, mais il ne se souvenait plus des mots qu’ils avaient échangé.

Épuisé, il s’allongea sur la banquette de la cellule. Rose s’installa dans son bureau, tout en gardant un œil sur le prisonnier, puis fouilla les archives. Elle trouva sans peine le dossier relatif à la suicidée de la chambre 13.

La chambre qui n’existait plus.

- Trick or treat !

Les gosses n’arrêtent pas de défiler dans la rue, depuis cet après-midi. C’est à qui aura le costume le plus effrayant et la plus grosse récolte de confiseries.

Halloween est un jour particulier, pour un écrivain d’horreur, comme on me définit parfois.
C’en est un. Ce jour-là, je reste cloîtré chez moi. Tout l’éclairage de mon appartement de Brooklyn est allumé, pour ne laisser aucune place à l’ombre. Alors que tout le monde autour de moi joue à se faire peur, je suis pétrifié par l’angoisse et je ne sais pas pourquoi.

En 2013, l’hôtel s’appelait encore le Whitby Hotel et appartenait à Mr Grant. La femme qui avait choisi la chambre 13 pour mettre fin à ses jours le soir d’Halloween était une certaine Mary Clarke, alias Meredith Clare, puisqu’elle exerçait, elle aussi, le métier de medium.

Elle avait été en vue dans les années 2000 et avait publié plusieurs ouvrages, à l’époque, avant de tomber dans l’oubli, dépassée par les nouveaux arrivants du secteur. En fouillant sur internet, Rose découvrit que Meredith Clare évoquait des « messages positifs de l’au-delà » Elle était venue à Whitby, attirée par de vieilles affaires un peu étranges, dont l’affaire White, du nom de ce jeune garçon disparu sans laisser de traces.

Nigel White.

La nuit n’en finissait pas, comme si l’aube n’osait pas se montrer et délivrer enfin Whitby. Vers 4 heures du matin, Rose reçut un appel de Linford Lucas, l’employé de l’Hoosier Hotel. Il se passait quelque chose à l’étage. La chambre 14 était devenue la chambre 13 et, derrière la porte, on entendait des bruits étranges.

Quand elle m’appela, je ne dormais toujours pas. Nous nous rejoignîmes à l’hôtel, maudissant tous les deux cette fichue nuit d’Halloween.

Octobre 1983 : c’est le premier Halloween pour le gang of four. En traversant le quartier de Greenwood, nous sommes passés devant le vieux cimetière et, d’un coup, mon sang s’est glacé. J’ai jeté un œil sur le côté et j’ai vu que Nigel, dans son costume de Comte Dracula, avait lui aussi senti quelque chose.

- On devrait pas traîner ici, les gars…

La voix de Sondra, d’habitude assurée, est hésitante. Nous changeons de trottoir et accélérons le pas. Je fixe un point loin devant moi, pour ne pas me retourner, pour voir ce qui nous suit.

Ted m’a confié, quelques jours plus tard, qu’il l’avait vu aussi, à la limite de son champ de vision.


A l’entrée de l’hôtel, Gillian Knapp nous accueillit, désemparée. Linford était monté à l’étage, afin de filmer ce qui se passait dans la chambre 13. Sans réfléchir davantage, nous grimpâmes l’escalier quatre à quatre.

La porte de la chambre 14 était remplacée par une autre porte, vermoulue et arborant son numéro 13. Des bruits de raclements se faisaient entendre et un rai de lumière passait par l’entrebâillement. Linford était entré. A l’intérieur, quelqu’un chantonnait. Le cœur battant, nous entrâmes.

Le décor n’avait rien à voir avec celui de tout à l’heure. Les murs étaient couverts de moisissure et de taches noires. Les ténèbres grignotaient chaque recoin de la chambre. Sur le fauteuil délabré, quelqu’un était assis et nous attendait.

- Meredith Clare, murmura Rose.

La femme nous fixa, un sourire mauvais sur le visage.

- Salut, Mike. Des nouvelles de Nigel ?

Mon sang se glaça dans mes veines. Je voulus répondre crânement, mais ne put que bafouiller, tandis que la femme se tournait vers Rose :

- As-tu vu le Wendigo, récemment ?

Le No Man’s Land, il était là, devant nous. Je sentis une onde glacée me parcourir de la tête aux pieds, comme si quelque chose voulait s’emparer de moi. Je m’accrochai : nous y étions déjà allés, et en étions revenus.

La chose qui avait le visage de Mary Clarke continuait :
- J’avais envie de m’amuser un peu, de passer de l’autre côté. Chaque année, à la même date, je vous rends visite.

Son visage changeait par ondulations, ce n’était plus la femme qui était morte ici quelques années plus tôt. Rose et moi posâmes la même question en même temps :

- Où est Linford ?

L’émanation devant nous ricana :

- Il prend un bain !

Sans réfléchir davantage, nous bondîmes vers la salle de bain. Le jeune homme était dans la baignoire, à demi immergé dans une eau rouge de sang. Il était plus pâle qu’un linceul. En quelques instants, il fut sorti de l’eau et nous fîmes des garrots de fortune sur ses poignets avec les serviettes de toilette.

L’ombre était toujours là, mais n’avait maintenant plus rien d’humain. Rose se tourna vers elle :

- Mary ! Mary Clarke !

Un frémissement parcourut la chose. Mon amie avait visé juste et le pouvoir devant nous cessa de se répandre, comme le sang des plaies de Linford.

- Mary Clarke, vous étiez une fraudeuse, vous aussi… cette chose vous a piégée !

Nous nous regardâmes : autour de nous, la pièce semblait se déformer. La créature voulait nous capturer et nous emmener avec elle quand la pièce disparaîtrait.

- La guerre va bientôt avoir lieu… Ils vont revenir, tous, le Veilleur sur le Seuil, le Moharahani, les hommes en gris, l’Agence, les Shonookins, Ceux qui étaient là avant les êtres humains. Vous périrez tous !

Les murs et le sol de la pièce me parurent se plier puis se déplier, comme soumis à des forces et des lois hors de ma portée. La tête me tourna un instant, puis, quand j’ouvris les yeux, je découvris autour de moi le décor de la chambre 14.

De l’autre côté du mur, des cris se firent entendre, presque rassurants : le client de la chambre 15 hurlait son exaspération. Je crois que j’aurais pu l’embrasser.

- Hey, Ted !

La fenêtre à l’étage s’est ouverte et le visage de Teddy s’est dessiné dans l’obscurité. J’avais chuchoté, mais dans la nuit tombante, j’avais l’impression d’avoir crié.

- C’est bon, je descends, Mike, a-t-il répondu, avant de commencer à descendre le long de la gouttière, souple comme un chat.

Je n’en menais pas large et mon cœur battait la chamade jusqu’à ce qu’il me rejoigne.
- T’inquiète, mes parents sont devant leur émission. On pourrait casser la vaisselle sans qu’ils entendent. T’es prêt ?
J’ai hoché la tête. Dans mon sac, j’avais tout l’équipement nécessaire à l’opération. Nous avons commencé à marcher en silence, comme deux ombres. Puis, nous avons allumé nos walkies-talkies.

- Nigel, tu nous reçois ? A toi, a appelé Ted.

- Red Leader à Gold Leader, bien reçu. On a des noms de code, Ted. A vous.

- Gold Leader à Red Leader, désolé. On sera sur place dans cinq minutes. Où en êtes-vous ? A vous.

- Red Leader à Gold Leader : Cerbère fait la sieste, la voie est libre. A vous.

Ce soir-là, nous nous sommes faufilés jusqu’à la vieille bâtisse et avons fait ce qu’il fallait.

En rentrant, peu avant l’aube, j’ai jeté mon sweat-shirt déchiré et taché de sang. J’ai pansé tant bien que mal la plaie sur mon bras. Au matin, j’ai prétexté une forte fièvre pour ne pas aller en cours et j'ai dormi toute la journée. Personne n’a jamais su ce que nous avions affronté, pendant cette nuit d’Halloween...


Le Docteur Maxwell n’a pas beaucoup dormi, cette nuit-là. Quand nous sommes redescendus dans le hall de l’hôtel, nous lui avons confié Linford, plus mort que vif et il a fallu peu de temps pour qu’il l’accompagne dans l’ambulance, vers l’hôpital de Wabash.

- Karminski !

N’importe quel être humain se serait écroulé de fatigue dans le premier fauteuil venu et j’étais à deux doigts d’en faire autant. Mais Rose n’allait pas se reposer maintenant.

Le faux medium de Stranger Stuff était seul dans sa cellule et la chose qui s’en était prise à nous n’allait pas lâcher cette proie si facilement.

Alors que je restais à l’hôtel, pour veiller sur Gillian Knapp et les époux Macey, elle fonça jusqu’au poste de police, le cœur battant la chamade, espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Quelques minutes plus tard, son numéro s’afficha sur mon smartphone :

- Mike, je l’ai trouvé inconscient, il est blessé… il y avait une tache de sang sur le mur, elle est revenue… la femme de la chambre 13.

J’entendais derrière sa voix le bruit du moteur. Comme pour répondre à ma question, elle ajouta :

- Je l’emmène à l’hôpital.

Le jour se lève, sur le parking du Wabash General Hospital. Le Docteur Maxwell s’approche de Rose Wu, un gobelet de café à la main. Ils restent silencieux un long moment, contemplant le ballet des ambulances.

- Cette ville est malade, Town Marshal.

Rose hoche la tête, puis avale une gorgée de café.

- Docteur, il faut que vous sachiez quelque chose…

C’est ainsi que le Docteur Maxwell apprit l’existence de la chambre 13 et du No Man’s Land. Il ne parut pas surpris. Après tout, en bon praticien, il avait pu observer tous les symptômes de la maladie. Il ne lui restait plus qu’à mettre un nom sur celle-ci.

Le soleil se leva lentement, comme s’il rechignait à éclairer ce morceau de terre...

Alors que le mois de novembre n’avait que quelques heures, le fameux Zak Loomis a fait son apparition à Whitby, mis au courant des derniers événements par Frederica. Il était flanqué d’un individu que j’identifiai immédiatement comme étant son avocat.

Il me serra la main en affichant son plus beau sourire et ajouta :

- Cette ...triste affaire ne doit pas s’ébruiter, Mr Beckman. J’imagine que vous le comprenez.

Miss Friday me fit ensuite ses adieux, en me jetant un dernier regard où je lus à la fois le regret et la peur. Elle tenta de sourire, mais ne produisit qu’une grimace maladroite.

- De toute façon, Stranger Stuff, c’est terminé, déclara Loomis, fièrement.

Devant mon regard interloqué, il ajouta :

- Je ne peux encore rien révéler, mais ce sera une grande nouvelle !

Quand leur voiture de location s’éloigna, je n’avais plus qu’une envie : dormir une centaine d’années.

Whitby, 17 novembre 2022

Il nous a fallu quelques jours pour récupérer de cette nuit d’Halloween, à Rose et à moi. Et puis, la vie a repris et ce que nous avons vécu pendant ces heures s’est lentement dissous, comme les détritus s’évacuent dans les caniveaux.

J’ai reçu tout à l’heure un appel de Miss Friday. Elle a parlé de Loomis, pour qui les choses alalient au mieux, puisqu’il animera bientôt un show télévisé sur le câble : Paranormal States of America. Puis, la gorge serrée, elle m’a annoncé que Paul Karminski était mort trois jours plus tôt, victime d’une overdose. Quant à elle, ce chapitre de sa vie allait bientôt se refermer : elle ne voulait plus travailler avec Loomis, ni approcher de près ou de loin ce genre d’affaire.

En raccrochant, je lui ai souhaité le meilleur, mais je sais que les cauchemars, eux, ne dorment jamais.

Whitby, 24 novembre 2022

Pour mon premier Thanksgiving depuis que je suis revenu à Whitby, Dorothy a mis les petits plats dans les grands. Cette femme délicieuse avait invité tous ceux qui me sont devenus chers ici. Autour de nous, se trouvaient Rose, Sondra, mais aussi Lex, Luke, Raven et Willie.

Dehors, un vent froid soufflait sur la petite ville, mais il semblait épargner notre petite assemblée, aujourd’hui.

Avant le repas, Rose et moi avons parlé avec Willie, de ce que la chose nous avait dit dans la chambre 13, la chambre qui n’existait pas.

- Shonookins, répéta-t-il, comme frissonnant sous l’effet d’une sensation désagréable.

Puis le sage Willie se tourna vers nous :

- Quant à l’Agence, ces gens qui n’existent pas, officiellement… cette Agence, je la croyais démantelée depuis plus de vingt ans.

Il fixa Raven qui hocha la tête et conclut :

- Nous en reparlerons...quand nous serons prêts.

J’entendis Dorothy appeler : il était temps de passer à table. Une odeur délicieuse nous parvenait de la salle où des rires joyeux se faisaient entendre.

L’hiver vient sur Whitby, sur ma ville. Qui sait ce que nous réserve 2023 ?
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

FaenyX (alias Mike), Sylvie (alias Rose) et moi avons joué hier soir le premier épisode de la saison 2 de Mystères à Whitby, intitulé Blizzard... et ce fut un super-moment, tout en tension dramatique ("On était en apnée..."). :mrgreen:

En attendant le CR de FaenyX, voici la suite du journal de son perso, Mike, couvrant la période non-jouée entre les deux saisons. Bonne lecture et à très bientôt !

Journal de Mike Beckman

Whitby, 4 décembre 2022

Encore une nuit sans sommeil.

Même si je me tiens à ma résolution de ne pas lire les avis des différents sites au sujet des “Persécuteurs”, l’inquiétude me ronge un peu plus à chaque roman. Et, durant la nuit, cette angoisse prend une dimension monstrueuse.

J’ai failli appeler Sondra parce que j’avais besoin de lui parler, puis me suis ravisé, préférant lui épargner mes angoisses. Et puis, je me suis rappelé de ce que la chose nous avait dit, à Rose et moi, dans cette fichue chambre 13, et ai fait quelques recherches sur internet.

Cette fichue Agence est l’objet de pas mal de rumeurs et de théories du complot, au point qu’il est difficile de démêler le vrai du faux, ou plutôt le vraisemblable du délirant. Mais il semble bien qu’une officine digne des X-Files ait existé, au vingtième siècle.

En 2001, après les attentats (décidément), elle aurait été démantelée, car jugée trop coûteuse, le gouvernement préférant mettre le paquet sur la lutte antiterroriste. Voilà pour la version presque officielle.

Voilà que je me mets à employer le langage des complotistes.

En tout cas, selon certains d’entre eux, cette Agence existe toujours, mais serait maintenant financée par des intérêts privés et s’appellerait dorénavant la Fondation.

Évidemment, je n’ai trouvé aucune preuve formelle de cette histoire. Si j’avais sombré dans le complotisme, cela prouverait, à mes yeux, que le secret est bien gardé.

New York, 10 décembre 2022

La nuit est tombée sur New York et des flocons de neige commencent à danser dans l’air. Après l’après-midi passé dans la librairie, à répondre aux questions du public et des quelques journalistes présents, j’ai rejoint Sondra et nous avons marché dans Central Park, profitant de ce moment volé à mon planning surchargé.

N’importe qui aurait voulu que le temps s’arrête sur cet instant et le fige à tout jamais. Mais la petite voix en moi chuchotait, toujours. J’avais hâte de quitter cette ville et de retourner à Whitby. En regardant Sondra, j’ai su qu’elle aussi, n’attendait que le moment du retour.

Est-ce nous qui avons besoin de cette ville, ou elle qui nous réclame ?

Demain, après une série d’interviews qui devraient ravir mon agent, je serai enfin libéré de ces obligations et nous rentrerons chez nous.

Whitby, 17 décembre 2022

J’ai poussé ce matin la porte de la bibliothèque municipale, en apportant un thermos de café et des muffins préparés par Dorothy. J’étais sans doute le premier usager de la journée.
- Ca va, Mike ? Tu as mauvaise mine, ce matin..
- J’ai passé une sale nuit. Ca ira mieux demain, ai-je menti.
Sondra a poussé une tasse de café dans ma direction.
- Je sais que tu préfères ne pas les lire, mais on dit de bonnes choses sur ton dernier roman, dans ce magazine.

Même si je ne voulais pas l’admettre, elle avait enlevé une partie du poids qui m’écrasait la poitrine ces derniers jours. J’ai jeté un œil à la couverture, qui évoquait la nouvelle littérature fantastique américaine.
- Je suis très fière de toi, Mike, tu sais.

Et là, d’un seul coup, le fameux poids disparut.
- Merci, Sondra… ton avis compte plus pour moi que tous les autres.

Nous avons laissé un long silence s’installer. Puis, autour de nous, la vie a repris. Plusieurs citoyens de Whitby sont entrés dans le local, nous saluant d’un geste ou d’un sourire entendu. Comme si j’avais voulu justifier ma présence et dissiper toute rumeur, j’ai ouvert mon calepin, celui qui ne quitte jamais ma poche, et l’ai ouvert à la page où j’avais griffonné «Voice of the mountain-Manly Wade Wellman » et, un peu plus bas « Veux-tu dîner avec moi ce soir ? » et l’ai tendu à Sondra.

- Dis-moi, Sondra. Notre bibliothèque municipale détiendrait-elle ce titre ?

Elle a souri, a écrit quelque chose dans le carnet, me l’a rendu, puis a pianoté sur l’ordinateur devant elle. Le temps de quelques battements de cœur et elle me tendait un vieux livre.

- Celui-là, personne ne le demande jamais. Tu le sauves sans doute du rebut, Mike.

Il n’y avait pas grand-chose dans le bouquin de Manly Wade Wellman au sujet des fameux Shonokins. Ses connaissances en matière de folklore nord-américain étaient impressionnantes, mais il était persuadé d’avoir inventé ce nom, derrière lequel se cachaient des êtres malfaisants, prédécesseurs des native americans, qui disposaient de pouvoirs surnaturels.

Pourtant, bien avant la parution de sa nouvelle, en 1945, certains juraient avoir entendu parler des Shonokins. Wellman jurait ses grands dieux qu’il avait créé ces créatures de toutes pièces et je pressentais qu’il était sincère (par solidarité entre écrivains, sans doute).

Quand je suis sorti de la bibliothèque, Sondra rappelait à des élèves de la Middle School la règle des « pas plus de trois livres, pas plus de trois semaines ». Je lui ai lancé un clin d’œil complice et suis sorti.

Whitby, 18 décembre 2022

Je suis allé rendre visite à Willie et à Raven, au Wabash Lodge. La jeune fille semble s’épanouir, au contact de mon vieil ami, comme si elle retrouvait à ses côtés tout ce que la vie lui avait volé durant son enfance. Elle a mûri et affiche désormais une sagesse et une résolution qui font défaut à pas mal de gens censément plus matures.

Avant de partir, j’ai interrogé Willie au sujet des Shonokins. Selon lui, ces êtres ont existé, et peut-être existent-ils toujours. Profondément malveillants, ils peuvent cacher leur existence et même se faire oublier des humains. Il est possible, donc, que Wellman ait eu connaissance d’eux, puis ait utilisé leur nom, sans avoir le moindre souvenir d’eux. Selon certains sages, les Shonokins étaient les maîtres de ce continent, avant que les tribus indigènes ne s’installent. Ils auraient choisi de disparaître de la surface de la terre, pour ne revenir que lorsque les Êtres Humains auraient été soumis. Il semble pourtant que l’homme blanc, quand il extermina les peuples indiens, ne provoqua pas la réapparition des Shonokins.

Peu à peu, on oublia jusqu’à leur existence.

Et si c’était pour mieux préparer leur grand retour ?

Inutile de dire que mon imagination s’en est donné à cœur joie.

Los Angeles, 26 décembre 2022

Période oblige, j’ai sacrifié à la tradition et suis venu passer quelques jours chez ma mère pour fêter Noël en famille. Le tableau que j’en ai fait à Sondra n’a pas suffi pour la décourager de m’accompagner et elle a fait preuve d’une patience à toute épreuve.

La fête donnée par ma mère et son second mari fut un modèle d’étalage de réussites sociales en tout genre. Je crois que je n’ai jamais vu autant de silicone et de cartes visa gold dans une seule pièce. Ma place n’est pas ici. J’ai prétexté un rendez-vous avec mon agent pour rentrer dès ce soir dans l’Indiana.
D’ailleurs, j’écris ces mots du terminal de l’aéroport.

Whitby me manque.

J’ai besoin de cette ville et de ceux qui y vivent.

Mais Whitby a-t-elle besoin de moi ?
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Mystères à Whitby

Saison 2, Episode 1 : BLIZZARD

Journal de Mike Beckman


Whitby, 3 février 2023

Il a neigé abondamment sur Whitby, cette nuit. Devant moi, la rue est recouverte d’un tapis blanc qui étouffe le moindre bruit. D’ici quelques heures, les mômes du coin vont s’en donner à cœur joie, mais pour l’instant, je déguste ce calme, ma tasse de café à la main.
Une odeur de pancakes me parvient, de la cuisine toute proche. C’est à croire que Dorothy ne dort jamais.
- Je vous ai préparé un bon petit déjeuner, annonce-t-elle, rayonnante.
- Merci, Dorothy… je ne survivrais pas, sans toi.

Elle reste à mes côtés un instant, contemplant le paysage. Le ciel se charge de gros nuages venus de l’est. Il semblerait que nous n’en n’ayons pas fini avec l’hiver.

- J’ai l’impression que ça ne va pas s’arranger. J’ai fait quelques provisions, au cas où…
Je lui souris, sachant très bien que nous pourrions tenir un siège, puis je frémis à cette idée. Un peu partout, dehors, le danger est là, prêt à nous assiéger s’il le faut. Quand viendra la prochaine attaque ?

- J’aime savoir que Sondra est là, tu sais.

Moi aussi, Dorothy, moi aussi…

Whitby, 6 février 2023


Depuis trois jours, le blizzard souffle sur Whitby. La petite ville, prise par le froid, est coupée du monde. Les liaisons téléphoniques ne fonctionnent plus, sans parler d’internet. Rares sont les habitants qui sortent de chez eux pour affronter l’hiver. Le blanc manteau qui recouvre Whitby a des allures de linceul.

Une tempête n’amène jamais rien de bon.

Whitby, 7 février 2023

Je ne sais pas pourquoi je continue à remplir ce journal, puisque je suis le seul à y avoir accès. Personne, à part peut-être Rose, ne croirait à ce qui y est écrit et je me refuse d’ailleurs à l’ouvrir à qui que ce soit. Pourtant, cela m’est indispensable, comme si donner corps à ce qui se passe ici m’empêchait de basculer.

Le docteur Wallis écrase sa cigarette dans l’énorme cendrier de cristal dans lequel le soleil crée de petits arcs-en-ciel que je fixe, fasciné.
- Madame Beckman, votre fils..
- Jenner, si vous voulez bien..
Le médecin corrige le nom de ma mère sur la feuille de papier posée devant lui, puis reprend :
- Votre fils souffre d’un syndrome post-traumatique, provoqué par l’incident dont a été victime son ami, ainsi que votre situation familiale. Il vit très mal votre… séparation.
- Et les… les horreurs qu’il dessine dans son carnet, ses histoires de monstres ?
- C’est une façon, somme toute assez classique, pour lui de concrétiser le trauma qu’il traverse… les monstres n’existent pas et, au fond de lui, Michael le sait bien…
Les mots me parviennent comme au travers d’un brouillard, puis me traversent sans s’arrêter, oubliés dès qu’ils sont prononcés.
Je voudrais juste que l’homme en blouse blanche me rende mes dessins.


J’ai eu cette nuit, un terrible cauchemar et la journée qui a suivi nous a conduit plus loin que je n’aurais pu l’imaginer.

Je dois commencer par le début.

(à suivre)
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

Journal de Mike Beckman
 
Whitby, 7 février 2023 (suite)

Mon rêve a été plus intense, plus marquant que les variations habituelles qui sortent de mon cortex aux heures les plus sombres. J’ai d’abord eu droit à un nouveau cocktail de souvenirs, mélangés sans souci de cohérence, où j’ai retrouvé Nigel, l’Araigne, le Chien Noir, le Moharahani, la chambre 13 du Hoosier Holiday Hotel…
Et puis, à ces images s’est substituée une vision d’une netteté inhabituelle.

Au milieu de nulle part. Tout est blanc. Une bagnole perdue, dans le blizzard, roulant au pas, luttant contre la tempête de neige. Un pick-up Ford Ranger, d’un orange incongru dans cette blancheur aveuglante.
Peu à peu, je distingue la silhouette, puis le visage de la conductrice.

Raven.
Elle est seule au volant et, dans ses yeux, je lis l’anxiété, l’urgence, la peur.
Peur qu’il soit trop tard, peur pour nous, Rose et moi.
Je sens qu’elle sent ma présence et qu’elle cherche à m’envoyer un message d’alerte.
Le cœur battant, je distingue alors trois silhouettes très vagues, qui avancent à travers le blizzard, vers la voiture. Puis le blanc recouvre tout.

Contrairement aux cauchemars habituels, qui partent en lambeaux, puis disparaissent au cours de la journée, celui-là est resté imprimé dans mon cerveau.

Sans regarder l’heure, j’ai tenté d’appeler le Wabash Lodge, où Raven vit, avec Willie. En vain, évidemment, le blizzard occultait toute communication.

J’ai pris la voiture et me suis rendu au poste de police. Je devais parler à Rose.

Elle m’a écouté, alors que nous étions seuls dans son bureau de Town Marshal. Elle seule, à Whitby, pouvait entendre ce que j’ai raconté. La liaison radio ne fonctionnait pas, évidemment.

C’est le moment qu’a choisi Bob Campbell, le nouvel adjoint de Rose, pour revenir de patrouille. Bob est un homme solide, un flic sur lequel Rose sait qu’elle peut compter. Il est revenu à Whitby je ne sais pas trop pourquoi, mais il est d’ici et ça signifie beaucoup.
Il raconta à Rose qu’il avait découvert un véhicule abandonné, pas loin de la casse, près de la Wabash, une Ford Ranger orange.
J’ai serré les dents, pendant qu’il continuait.

La voiture était verrouillée, mais les clefs étaient sur le contact et personne n’était à l’intérieur. En quelques instants, Rose confirma ce que je savais déjà : la plaque d’immatriculation était celle d’un pick-up appartenant à William Lowry.

Mon vieil ami Willie l’Indien.

- On y va, lâcha Rose.

Je l’accompagnai. Bob Campbell nous regarda partir, sans poser de questions…
 
- Mes enfants, vous allez devoir rester à la maison aujourd’hui.
Je pose ma tasse de café et regarde Dorothy. Devant elle, le paysage est recouvert de neige et le vent gagne en intensité. Sondra relève le nez du Whitby Daily et sourit :
- La bibliothèque n’ouvrira pas aujourd’hui, Dorothy, ne t’inquiète pas.
Puis elle me regarde et pointe du doigt un article dans le journal.
- Tu as vu ce que Miss Myers dit de ton dernier roman ?
Je hausse les épaules. Amanda Myers s’était contenté d’un entrefilet lapidaire, évoquant un roman en-deçà de mes précédentes productions.
- Avec le papier du New York Reader, ça me fait une moyenne.
La rédactrice du Whitby Daily n’avait pas digéré que je résiste à son charme. Elle s’en remettrait.
- Je vais faire des cookies, déclare Dorothy.
Je regarde par la fenêtre : le blizzard, au-dehors, me fait frissonner. Pourtant, je n’ai pas froid.


Le trajet me parut durer des heures, dans le blizzard qui redoublait. En arrivant sur les lieux, nous eûmes l’impression que la voiture était naufragée au milieu de nulle part. Rose l’examina, tandis que je me tenais en retrait. Elle finit par briser une vitre pour accèder à l’intérieur et brandit bientôt un sac à main. Il contenait, entre autres, les papiers de Vera Crow, alias Raven. Il n’y avait aucune trace de lutte, et la neige avait déjà tout recouvert aux alentours. Où était-elle ?

Un bruit de moteur me parvint. Une camionnette approchait, que j’identifiais malgré la neige : c’était la dépanneuse de Brad Kuttner, le propriétaire de la casse. Elle s’arrêta un instant, puis fit demi-tour. Je me mis à courir, essayant en vain de rattraper le véhicule.
Rose avait bondi dans sa voiture et se rapprocha, me recueillant au passage.
- Il a disparu, avec ce satané blizzard, pesta-t-elle.
- Il est sûrement à la casse, commençai-je, avant de m’interrompre.
La parka de Rose était couverte d’aiguilles de pin, qui s’étaient collées à elle quand elle avait fouillé le Ford Ranger. Nous nous regardâmes, perplexes : que se passait-il ?

La dépanneuse était bien à la casse automobile, près du bungalow servant de bureau à Kuttner. Le moteur était encore chaud. Bientôt, l’homme apparut, son fusil en main.
Il parut ne pas comprendre ce que Rose lui demandait, et nous demanda de partir, puisqu’aucun mandat n’autorisait qu’on soit là.
- Que le Town Marshal Fred Hurt aille se faire foutre, gromella-t-il. Fichez le camp !

Quelque chose n’allait pas. Kuttner agissait comme un somnambule et, surtout, il parlait de Hurt comme s’il était encore en poste. Et, à la lisière de la raison, je sentais que quelque chose clochait tout près.

Je parcourus les alentours du regard, sourd aux injures de Brad Kuttner, et m’arrêtai.
Devant moi, se situait une cabane dont je n’avais aucun souvenir. J’avançai dans sa direction et m’arrêtai à quelques mètres.
- Il n’y a rien là-dedans, cracha Kuttner.

Pourtant, je sentais que quelque chose se trouvait là, derrière l’unique porte de la cabane. Je me retournai : Rose était tenue en joue par Brad Kuttner, mais n’avait pas lâché son arme.
- Puisque vous y tenez, on va discuter… là-dedans !
Rose fixa l’homme :
- Il y a quoi là-dedans ? Raven ? Cet endroit… c’est le No Man’s Land, c’est ça ?
Il eut un sourire mauvais et me braqua :
- Ouais, c’est ça, Raven est là. Ouvrez !

J’ouvris la porte. Il n’y avait là que des ténèbres. Nous fîmes un pas en avant et la porte claqua derrière nous, comme le couvercle d’un cercueil qu’on ferme.

Ce n’étaient pas les ténèbres, mes vieilles amies, mais une obscurité plus épaisse, que la maglite perçait à peine. Il faisait chaud dans l’unique pièce, contre toute raison. Et puis, un gargouillement venu de nulle part se fit entendre, avant que les fenêtres ne disparaissent, que les meubles fondent sous nos yeux. Nous étions dans quelque chose qui vivait.

La terreur s’empara un instant de nous quand nous réalisâmes que ce quelque chose était en train de nous digérer.
J’appelai Raven, en vain, tandis que Rose balayait l’espace de sa maglite. Les murs avaient laissé la place à des parois organiques et, ça et là, se devinaient les ossements de choses ou d’êtres qui étaient passés par là plus tôt.
- Le chien de Kuttner, sans doute, dit Rose en secouant la tête.
Nous sûmes alors que Raven n’était pas dans cette chose, mais n’étions pas pour autant tirés d’affaire. Un hurlement se fit entendre et, le temps d’un battement de cœur, la paroi s’entr’ouvrit, pour laisser entrer une nouvelle proie : Kuttner, qui hurlait comme un damné, balancé là par ceux qui nourrissaient cette chose.
Durant le bref instant où il fut jeté en pâture, j’aperçus ce qui l’avait envoyé là.
L’être n’avait rien d’humain. Que se passait-il ici ? Quel enfer se déchaînait autour de nous ?

Je tentai de maîtrise Kuttner, pris de folie. Sans doute son esprit avait-il définitivement basculé à cet instant. Rose hurla et ramena le calme.
- Le Gardinel… il va nous bouffer, il a déjà digéré un clodo… ils l’ont construit, ceux d’avant !
Kuttner parlait tout en pleurant, et commença à ânonner l’hymne américain, comme si c’était son seul barrage contre la folie.
- Où est Raven ?

Rose et moi avions posé la même question.
- La fille ? Elle est avec eux, pour leur rituel… ils nous tuerons tous !

Il reprit sa mélopée, tandis que nous sentions sur notre peau la brûlure des sucs digestifs de cette abomination. Il y avait bien une façon de sortir de cette horreur…

C’est alors que je ressentis un appel. Je criai, j’appelai, qui que ce fût, puis me concentrai et dirigeai toutes mes pensées vers l’appel. Quelque chose changeait. Ce fut d’abord une faible lueur, puis la lumière se fit plus forte encore et je devinai une silhouette spectrale devant moi. Incrédule, je la vis se tourner vers nous : Willie était là et nous tendait la main.
Rose et moi avançâmes vers lui et nous comprîmes que nous étions nous aussi devenus intangibles. Je tentai de tirer Kuttner par le bras pour l’entraîner avec nous mais il était resté prostré et n’était pas devenu spectral. Renonçant, je fis quelques pas, puis basculai, tombant vite à quatre pattes dans la neige.
Le blizzard glacial nous gifla le visage. Nous étions de retour.
Je relevai la tête : le spectre de Willie était en train de s’effilocher, comme s’il était emporté par le vent glacial. D’un geste, il nous montra le bâtiment devant nous, puis disparut dans l’air.
Sans tarder, nous nous dirigeâmes dans sa direction.
Du coin de l’œil, nous eûmes le temps d’apercevoir une silhouette qui se faufilait entre les carcasses rouillées. Quelque chose rôdait là.

- Mais c’est mon ami Beckman !
Epstein, encore une fois, avec l’un de ses sbires habituels et son sourire mauvais. Cet après-midi là, je croyais être le dernier dans les couloirs de la Middle School, et n’avais qu’une hâte : retrouver mes trois complices du Gang of Four parce que Nigel veut nous montrer un jeu à propos de dragons.
- Bill, je…
- Silence, l’intello… oh, mais c’est un chouette sac à dos que tu as là. Voyons voir ce qu’il contient.
Il m’a pris mon sac des mains et l’a ouvert, et s’apprête à en vider le contenu au sol, l’une de ses spécialités.
- Un problème, jeunes gens ?
Willie, l’Indien, comme on l’appelle dans son dos, a fait son apparition dans le couloir, sa vieille boîte à outils au bout du bras.
- Merde, le peau-rouge, a marmonné le garçon derrière Epstein.
- On se reverra, Beckman, lâche Epstein, avant de tourner les talons.
Je reste immobile, le dos plaqué au mur, la sueur me glaçant l’échine, puis je tourne la tête en direction de Willie.
Il hoche la tête et je crois voir un mince sourire se dessiner sur ses lèvres.


Nous entrâmes. Le couloir était en désordre et nous ne tardâmes pas à faire du bruit en avançant. Après quelques mètres, nous fûmes attaqués par deux êtres semblables à celui que j’avais aperçu peu avant. Rose fit feu sur le premier tandis que je me débarrassai tant bien que mal de celui qui m’avait attaqué toutes griffes dehors.
La créature semblait faite de matière végétale et était couverte d’aiguilles de pin. Une puissante odeur de bois pourri l’accompagnait. De ses grands yeux blanchâtres, elle regarda son congénère à terre.
- Où est Raven ? cria Rose.
Pour toute réponse, la chose se jeta sur elle. J’essaie en vain de la frapper avec le premier truc qui me tomba sous la main, mais Rose finit par l’abattre.

Nous n’eûmes pas le temps de nous demander ce qu’étaient ces créatures. Il fallait trouver Raven. De derrière une porte voisine, nous parvenait une sorte de chant, qui n’avait rien d’humain.
Arme en main, Rose ouvrit la porte : une volée de marches s’enfonçait sous terre et une forte odeur de décomposition flottait.
Marche après marche, nous descendîmes, jusqu’à la chaufferie.
Raven était là, bâillonnée, attachée par les mains et les pieds, à demi-dévêtue. Des dessins étranges parcouraient son corps, semblant tracés avec du sang. A ses pieds, la carcasse du rottweiller de Kuttner gisait.
Une autre des créatures était penchée sur Raven, psalmodiant dans une langue qui n’avait rien d’humain. Elle se tourna vers nous et parla, d’une voix sifflante :
- Les Shonokins sont immortels. Nous avons toujours été là, nous serons toujours là...vous ne nous vaincrez jamais.

Rose fit feu sans hésiter. Les aiguilles de pin volèrent.

La chose resta un instant immobile, fixant sans y croire le trou dans ce qui lui servait de poitrine.
La balle suivante la toucha à la tête. Elle s’écroula, pas si immortelle que ça finalement.

Délivrée, Raven se jeta dans mes bras. Nous la recouvrîmes des vêtements que nous trouvâmes ça et là, puis quittâmes cet endroit maudit. Quelques instants plus tard, nous étions dans la voiture de Rose, la jeune fille toujours cramponnée à moi.

Au poste de police, Rose fit rapidement cesser les questions. En état de choc, Raven n’avait toujours pas prononcé le moindre mot. Elle était en sécurité, maintenant, mais il nous fallait retourner là-bas.
Bob Campbell proposa à Rose de l’accompagner, mais celle-ci refusa. Raven toujours accrochée à moi, notre Town Marshal dut se résoudre à aller là-bas seule.

Rose ne m’a pas raconté ce qu’elle a fait là-bas. Ce n’était pas nécessaire. Je sais qu’elle est retourner à la casse, et a traîné les carcasses des créatures jusqu’à l’étrange cabane pour les y jeter. 
Puis le Gardinel a perdu son apparence, la porte est devenue bouche, tandis que les fenêtres disparaissaient, que les murs perdaient peu à peu leur structure.
La chose est devenue une masse sombre qui a lentement disparu, comme si elle était repue, pour ne laisser qu’une trace brûlée.
Le Gardinel est reparti d’où il venait.

En début d’après-midi, Rose est revenue et a donné à Campbell la version officielle : Kuttner avait enlevé la jeune fille, avant de prendre la fuite lors de notre arrivée. Bien sûr, il serait recherché partout. Mais Rose et moi savions qu’on ne retrouverait jamais Brad Kuttner.
olivier legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par olivier legrand »

(suite et fin du CR de "Blizzard", l'épisode 1 de notre saison 2 - encore merci à FaenyX pour ce super-récit - avec, en petit bonus, les images que j'avais créées sur Midjourney pour les besoins du scénarios - en plus des photos de PNJ que nous utilisons habituellement)

http://storygame.free.fr/IMAGES%20TTBNOW2.1.pdf

Journal de Michael Beckman
 
Whitby, 7 février 2023 (suite)

C’est alors que Raven a fini par parler, enfin.

- Willie est à l’hôpital, il est dans le coma. Le Dormeur du Seuil s’en est pris à lui. J’ai voulu vous prévenir et les...Shonokins m’ont prise.

Elle tremblait encore, plus de peur que de froid, mais avait repris ses esprits.

- Dès que le blizzard tombera, nous irons le voir ensemble à l’hôpital. En attendant, tu restes avec nous, Raven.

J’exposai à Rose et Raven ce que j’avais découvert dans le roman de Wellman, emprunté quelques semaines plus tôt à la bibliothèque.
C’est alors que, comme un cadavre remontant à la surface, le souvenir me revint : c’était dans ce livre de Wellman que j’avais vu le nom du Gardinel, alors que j’y cherchais des informations sur ces fameux Shonokins.
 
La nuit tombe enfin. Raven dort, je l’espère, dans la chambre d’amis. Elle a été accueillie à bras ouverts par Dorothy, l’ange gardien de cette maison.

Dehors, le blizzard continue de souffler, coupant Whitby du monde, préservant ce dernier des horreurs qui tentent de s’y infiltrer.
La guerre annoncée ne fait que commencer, j’en suis persuadé.
 
Whitby, 11 février 2023

Comme s’il avait fini par s’épuiser, le blizzard a cessé de souffler hier. Et, comme promis, nous sommes allés voir Willie, mon vieil ami, à l’hôpital de Wabash.

Il est dans un coma profond, dont les médecins ne comprennent pas l’origine.  D’ailleurs pourraient-ils comprendre ?
En entrant dans sa chambre, j’ai pris la main de cet homme à qui je dois tant, et j’ai fermé les yeux.
 
Mikie...veille sur Raven. Elle n’est pas encore prêt. Elle a besoin d’être protégée. Sinon, ils la prendront, pour l’utiliser contre moi, comme ils ont essayé de le faire. C’est pour cela qu’ils l’ont laissée en vue. Pour attaquer mon esprit, à travers le lien spirituel qui m’unit à Raven.
Un même lien m’unit à toi. Mais le nôtre est plus fort, plus ancien ; il remonte à plus longtemps, quand tu étais encore un enfant, lorsque nous avons fait face au Moharahani la première fois. Je sais que tous tes souvenirs sont encore là.
Si tu étais resté, tu serais sans doute devenu mon élève. Mais nous avons suivi d’autres chemins, toi et moi. Et, à la fin, nos chemins se sont réunis de nouveau… et ont croisé les chemins de Rose et de Raven.
C’est ainsi que j’ai pu t’alerter, dans tes rêves, du danger qui guettait Raven.
Dis-leur de garder espoir. Ce n’est pas le Moharahani ni la sorcellerie des Shonokins qui m’a plongé dans le coma. C’est moi qui en ai décidé ainsi. Une autre façon de combattre le Veilleur de la Fin des Temps, à la lisières de ses rêves, dans le monde des esprits et des ombres, pour empêcher à tout prix de le réveiller… c’est ce que veulent ces créatures, pour régner de nouveau…
Tant que mon corps restera en vie, mon esprit continuera à lutter. Mais ce sera à vous de combattre de ce côté-ci, dans le monde de la chair et du sang.
Ils reviendront, sans doute masqués. Vous leur avez fait peur car ils se croient immortels mais ne le sont pas. Nos armes peuvent les tuer…
Il y a tant de choses que ‘j’aurais voulu apprendre à Raven… mais le temps m’a manqué. Je tenterai de guider, par tes rêves...si j’en ai encore le pouvoir...Tôt ou tard mon esprit se noiera dans le monde des ombres…

 
J’ignore combien de temps je suis resté figé, hors du monde, mais quand la voix s’est tue, quand l’image de la silhouette de Willie a fini par s’effacer de mon esprit, j’ai raconté brièvement ma vision à Raven et à Rose. J’étais en paix.
 
Sur le chemin du retour, dans la voiture, un long silence s’est installé. Les mots de Willie résonnaient son mon crâne : la tâche qui nous attendait était immense, et nous allions devoir l’affronter seuls.
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