À en juger par les réactions de ma compagne quand je lui ai montré certaines couvertures (la plupart anciennes, mais pas toutes) de jeux de rôle, ainsi que certaines vieilles publicités (pas merci L'œuf cube), oui, la représentativité est très importante, parce que, clairement, elle n'avait envie ni de jouer aux jeux concernés, ni même de les lire... surtout quand elle a le choix avec des jeux qui font cet effort qu'on peut qualifier d'effort minimal.
Et je dis "ma compagne", mais c'était pareil avec mes ex, hein. À partir de là, soit tu t'emberlificotes à expliquer à la catégorie de population concernée que non il n'y a pas de problème, soit tu écoutes et tu te rends compte que les personnes directement concernées sont les premières à avoir leur mot à dire, et qu'il y a bel et bien un problème.
Oswald a écrit : ↑25 mai 2024, 11:55
Cela me gène toujours aux entournures quand la politique s'invite dans mes passe-temps.
Ton erreur est là : de la politique dans ton passe-temps, il y en a toujours eu. Simplement, tu ne la voyais pas, ou bien tu ne t'y intéressais pas... parce que tu avais la chance de pouvoir te permettre de ne pas t'y intéresser. Ça s'appelle un privilège. Les privilèges, c'est quand on les perd qu'on se rend compte qu'on les avait. Enfiler un pantalon, ça prend quelques secondes, jusqu'au moment où tu te retrouves avec un bras dans le plâtre : bam, situation de handicap. Écouter les actualités d'une oreille distraite, ça va bien jusqu'au moment où un parti déterminé à te priver de tes droits sur ton propre corps, ou de ton accès à des soins, voire à encourager les autres à t'insulter, te frapper ou te lyncher, accède au pouvoir : bam, tu deviens un bouc-émissaire. Pour les gens que le hasard de leur naissance ou de leur santé a directement placés dans l'une de ces catégories, faire de la politique est une question de survie. Dans ce genre de cas, tu n'as pas le choix : soit tu fais de la politique, soit la politique te défait, parfois au sens le plus physique du verbe.
Des témoignages de femmes, de personnes victimes de racisme ou d'autres discriminations qui évoquent les problèmes survenus lors de parties de jeux de rôle (en convention, en club ou en privé), on en a des milliers. Qui s'étalent des années 1970 jusqu'à aujourd'hui.
Si tu veux adresser des reproches aux gens qui ont "invité la politique dans ton passe-temps", je t'invite à les adresser... aux auteurs de ces discriminations. Pas aux personnes qui essaient de faire en sorte que tout le monde puisse jouer à des jeux de rôle en se sentant à l'aise
Maintenant, pour en revenir à ces couvertures de Wizards of the Coast, elles sont bel et bien critiquables, à mon sens, mais pour une raison différente : c'est qu'elles surjouent l'aspect symbolique de l'inclusivité et la mettent au service d'une logique commerciale. WotC est dans son rôle : après tout, leur but est de vendre leurs jeux au public le plus large possible. Mais ils font ça avec une subtilité, disons, variable. Et ils en font des tonnes dans le symbolique alors qu'au sein même de leur entreprise, ils sont loin d'être des modèles, et que le contenu de leur matériel de jeu est très loin d'avoir été pionnier en la matière (ils étaient même plutôt à la traîne jusqu'à ces dernières années).
On peut légitimement le leur reprocher. À eux. À l'entreprise. Pas aux minorités discriminées, qui ne font que militer de manière générale pour pouvoir jouir de leurs droits et liberté de manière aussi complète que le reste de la population, mais qui n'ont pas de pouvoir décisionnaire sur le détail de la communication publique de WotC... et qui se passeraient parfois bien de certains "alliés" aux motivations douteuses ou aux procédés maladroits. Typiquement, on peut trouver plus ou moins convaincant la façon dont WotC essaie d'inclure des personnes de telle ou telle catégorie dans les univers de D&D... mais ce sera toujours plus attentionné envers les personnes concernées que la représentation des équipements pour paraplégiques dans le futur lointain dans le film
Avatar, où le développement de technologies avancées de voyage spatial et de conception de mechas semble avoir quelque peu éclipsé le progrès en matière de fauteuils roulants !
On peut aussi critiquer la logique de la société américaine, où les tentatives pour réaliser liberté, égalité et fraternité passent par la multiplication de catégories et de minorités, au risque de faire oublier le nécessaire dépassement de ces catégories dans la seule qui compte : notre condition humaine commune (la perspective de la mort, la dépendance envers l'écosystème, les besoins naturels, ce genre de chose). Mais la société française, qui a longtemps maintenu la réalisation de ces idéaux dans l'affirmation très générale d'un universalisme humaniste, est loin d'être exempte de limites : elle a conduit à passer sous silence toutes sortes de discriminations. Je pense que chacun de ces deux modèles a quelque chose à apporter à l'autre.
De plus, critiquer "les minorités" revient à oublier qu'elles sont le produit de... discriminations très anciennes, mises en place par la majorité. Au départ, il n'y a aucun "complot gay", il y a le rejet et la pathologisation, qui a inventé la notion d'homosexualité. Au départ, "les Noirs" est une notion issue des théories racistes européennes, etc. Les gens qui appartiennent aux minorités ne se retrouvent entre eux et ne développent de revendications communes qu'en réponse à des discriminations, et pas des petites. Une fois de plus, le problème n'est pas "la politique" des "minorités" : le problème, ce sont les discriminations.
Oswald a écrit : ↑25 mai 2024, 11:55Mais le but de la table, c'est de jouer, c'est-à-dire de passer un bon moment ensemble malgré les choix politiques de chacun ou est-ce l'agora où l'on réalise ses choix politiques ?
Je pense que tu as mis le doigt sur le cœur de la question. Mais là, chaque rôliste et chaque groupe de jeu aura sa propre réponse (ou ses réponses, selon les contextes de jeu).
Pour un éditeur de jeu, il est plus simple de proposer un jeu dans une logique d'ouverture, qui s'adapte plus facilement à toutes les pratiques. Inclure tout le monde dans le jeu ne retire rien à personne (si ce n'est l'impression d'être au centre du monde). Je pense que WotC a en tête le jeu en convention, ou encore les parties de D&D en ligne sur sa plate-forme officielle, tous contextes qui supposent un cadre clairement défini pour la modération et l'animation des séances. Pour ce qui est des parties dans un cadre privé, chaque groupe a toujours fait ce qu'il voulait, aussi bien pour D&D que pour les autres jeux.