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Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 22 sept. 2024, 12:25
par Xaramis
Le "directeur de la photographie" de ce Guépard, Giuseppe Rotunna, avait aussi marqué de son talent Le Casanova de Fellini, Et vogue le navire du même Fellini, ou encore l'All That Jazz / Que le spectacle commence de Bob Fosse.

Sur le ressenti des images, je pense comprendre ce que tu veux dire. Les images numériques d'aujourd'hui ont une résolution particulièrement élevée, et le traitement d'image y ajoute - parfois, et entre autres - un contraste supplémentaire qui finit par donner une sensation d'artificialité. Au point que, pour certaines images de portrait humain, il y a un mouvement inverse : des outils de "lissage" pour flouter les détails de la peau (pores, rides, rougeurs, etc.), qui, quand leur usage est mal maîtrisé, en arrivent à donner à la peau un aspect cireux.

Ta remarque sur les images du Guépard m'a amené à creuser un peu le sujet en flânant sur le net. Et j'ai trouvé en particulier ces éléments :
source : https://maze.fr/2020/05/palme-dor-le-gu ... is-mourir/
Le Guépard marque le retour de Visconti à la couleur en dehors des films co-réalisés comme il en pullulait dans le cinéma Italien des année 60. Il utilise un procédé d’impression Technirama qui allie à la fois le principe Technicolor trichrome et le défilement horizontal de la bobine combinée à l’impression anamorphique de l’image. On obtient une image avec un piqué renvoyant directement aux classiques américains comme Autant en emporte le vent. Il faut se rappeler que le procédé n’est pas le plus économique comparé à d’autre méthodes de traitements de la couleur similaires comme l’Eastmancolor et il a donc concurrencé directement des films fleuves et couteux comme Cléopâtre ou Lawrence d’Arabie. Enfin le Super Technirama 70 a permis d’adopter un ratio de cadre beaucoup plus spectaculaire, 2.20 :1, tout en conservant une résolution exceptionnelle qui a en partie permis la réussite de la restauration sous l’égide de Martin Scorsese. Ce format de projection qui permet d’inclure les personnages dans le décor et d’en apprécier sa démesure, dans Senso le cadre était académique et par conséquent la narration beaucoup plus centré sur les relations inter personnages.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 13 janv. 2025, 18:59
par Usher
Très beau film historique, ce Jeu de la reine de Karim Aïnouz.

Il a pour sujet le dernier mariage de Henri VIII Tudor, l'ogre royal qui bannissait ou exécutait ses épouses. On y suit Catherine Parr, la sixième femme de Barbe bleue qui parviendra à survivre à son ogresque époux.

Commençons par ma seule réserve : alors que les deux premiers tiers du film sont très fidèles à la vérité historique, le dernier tiers s'en écarte radicalement. Bon : mettons cela sur le compte de la fiction. (Le film est lui-même l'adaptation d'un roman d'Elizabeth Fremantle.)
Mais hormis cette fantaisie, que de qualités ! En fait, j'ai rarement vu une reconstitution aussi vivante d'une vie de cour. Tourné dans un château de l'époque Tudor, le film restitue l'atmosphère du palais, avec ses clairs-obscurs, la distribution compliquée du logis, le désordre relatif qui régnait toujours dans une cour entre deux déplacements. Les costumes, directement inspirés des peintures du XVIe siècle, en particulier des portraits de Holbein, sont criants de luxe et de vérité ; mais rien d'empesé chez les acteurs. La reine Catherine Parr est souvent en train de se faire déshabiller ou habiller par ses femmes, en fonction de ses activités ; dans l'entourage du roi, on voit aussi parfois des gentilshommes en chemise, par familiarité ou parce qu'ils n'ont pas eu le temps de s'habiller quand ils ont été appelés ; un petit chien se promène sur la table du conseil de la Régente, au milieu des portefeuilles et des coupes de vin… Il en ressort une très forte impression de vie, comme si le cinéaste avait vraiment posé sa caméra dans un palais du XVIe siècle.
Les acteurs principaux sont remarquables. Alicia Vikander, qui joue la reine Catherine Parr, incarne très bien la femme de tête forcée de composer avec le monstre. Jude Law est tout simplement prodigieux dans le rôle d'Henri VIII. Enorme, raffiné, tyrannique, brutal, dolent, luttant contre la mort et toujours sur le point de céder à ses démons, il est méconnaissable, pitoyable et effrayant. A retenir aussi, dans les seconds rôles, Junia Rees, qui incarne une toute jeune Elizabeth angoissée mais dont décante déjà le fort caractère.
En dépit de quelques libertés prises avec les derniers événements de la vie d'Henri VIII, un film assez marquant par la restitution de l'atmosphère Tudor.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 13 janv. 2025, 23:10
par Xaramis
Merci pour ce retour, qui me donne bien envie de trouver une salle de ciné pour aller le voir !

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 14 janv. 2025, 12:19
par Rom1
Il est déjà sorti il y a un moment au ciné, j'avais été le voir et je l'avais beaucoup apprécié pour les mêmes raisons que donne Usher. Jude Law y est assez incroyable et Alicia Vikander lui tient bien tête.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 14 janv. 2025, 15:40
par Xaramis
Rom1 a écrit : 14 janv. 2025, 12:19 Il est déjà sorti il y a un moment au ciné, j'avais été le voir et je l'avais beaucoup apprécié pour les mêmes raisons que donne Usher. Jude Law y est assez incroyable et Alicia Vikander lui tient bien tête.
Ah !, j'arrive après la bataille. :?

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 15 févr. 2025, 08:51
par Usher
Nous avons vu l'excellent Civil War (2024) d'Alex Garland. Un film d'anticipation efficace et brutal qui prend un relief très particulier en ce début de second mandat Trump.

Dans un futur très proche, les USA sont plongés dans une nouvelle guerre de Sécession. Les troupes des deux Etats Sécessionnistes, le Texas et la Californie, bousculent l'armée du gouvernement des Etats-Unis et menacent Washington où s'est retranché le président qui mène son troisième mandat. Le film s'attache à quatre journalistes qui, partis de New-York, essaient de contourner la ligne de front et de gagner Washington pour interviewer le président avant la chute de la capitale. Civil War est donc un cross-over particulièrement efficace qui tient à la fois du road-movie et du film de guerre teinté d'une touche de post-apo.

Certes, on peut émettre quelques réserves. Une partie de la presse française a reproché au film de ne pas approfondir la réflexion politique et de ne pas prendre parti sur les dérives fascistes qu'il met en scène (dans les deux camps en guerre). A mon sens, sans être irrecevable, la critique est exagérée pour deux raisons. D'une part, Alex Garland a expliqué que c'était la polarisation des opinions américaines qu'il avait voulu mettre en scène et c'est parfaitement réussi. D'autre part ses protagonistes sont des reporters de guerre dont la vocation est de rapporter l'information de la façon la plus neutre possible. La (quasi) absence de parti-pris est donc à l'image de leur démarche. Enfin, de façon certes peu appuyée mais très lisible, c'est bel et bien l'Amérique MAGA qui est critiquée : le président fictif, en particulier dans sa déconnexion avec le réel et sa défiance pour la presse, est un alter-ego assez transparent de Trump.
J'aurais une autre critique à faire au film : les séquences de guerre sont certes très impressionnantes et semblent très réalistes, mais sont déjà périmées. Pas un drone dans les combats : sur le plan tactique, le film est dépassé par la guerre d'Ukraine.

Cela étant, quel film ! Hormis cette absence des drones, on y croit vraiment. Rien de kitsch dans cette évocation d'une Amérique en guerre : la réalisation s'est inspirée d'un certain nombre de conflits contemporains et les a transposés dans l'est des Etats-Unis avec un grand souci de réalisme. En outre, l'action se déroule au cœur de l'été, et crée un contraste extrêmement fort entre la beauté des paysages, des routes vides, des centres urbains baignés de soleil, et les manifestations de violence sporadiques qu'on y croise.
L'autre point fort du film, c'est d'adopter l'angle journalistique. Les quatre protagonistes ne sont pas des combattants : munis de leurs seuls appareils photos, ils se lancent dans une course de vitesse avec l'évolution du front. Le film alterne des moments de pause, à l'arrière, dans des no man's lands plus ou moins sûrs, et quelques séquences extrêmement dures dans les zones de combat. Le montage est alors très dynamique, insérant dans les séquences souvent inhumaines les clichés pris par les reporters, parfois d'une esthétique sidérante, ce qui amène le spectateur à réfléchir sur la beauté paradoxale du reportage de guerre et sur la façon dont il peut se montrer contradictoire avec sa vocation informative.
A petites touches, les quatre protagonistes dessinent plusieurs portraits de reporters de guerre : le vieux journaliste qui ne sait pas décrocher, la débutante qui ne sait pas où elle met les pieds, le reporter accro à l'adrénaline, la journaliste expérimentée qui doute, réalisant que toute sa carrière n'a servi à rien car elle se trouve réduite à continuer à couvrir ce qu'elle a toujours dénoncé.
Civil War happe le spectateur dans une mécanique impitoyable et ne le lâche plus jusqu'au cliché final. A noter que les vingt dernières minutes du film montrent un assaut très impressionnant à Washington qui n'est pas sans se poser en miroir avec l'assaut du Capitole du 6 janvier 2021… (Alex Garland avait conçu le projet du film en 2020.)

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 15 févr. 2025, 16:52
par Rom1
Jesse Plemmons n'a qu'un temps d'apparition très court, mais il vole quasiment le film. Alors qu'il n'était pas l'acteur prévu pour ce rôle, il l'a remplacé au pied levé - c'est sa femme Kirsten Dunst qui a suggéré au réalisateur de l'appeler sur le pouce.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 15 févr. 2025, 21:35
par acritarche
Usher a écrit : 15 févr. 2025, 08:51 Nous avons vu l'excellent Civil War (2024) d'Alex Garland. Un film d'anticipation efficace et brutal qui prend un relief très particulier en ce début de second mandat Trump.
[Plein de bonnes choses]
J'ai également adoré. Ce qui m'a marqué c'est que la violence est bien plus présente dans le discours et les exactions des acteurs des deux camps que dans la "guerre" elle-même. Une belle claque qui nous rappelle que la guerre n'est pas seulement atroce en elle-même, mais également (voire plus) dans ce qu'elle révèle chez certains êtres humains.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 16 févr. 2025, 11:19
par Xaramis
Usher a écrit : 15 févr. 2025, 08:51 A petites touches, les quatre protagonistes dessinent plusieurs portraits de reporters de guerre : le vieux journaliste qui ne sait pas décrocher, la débutante qui ne sait pas où elle met les pieds, le reporter accro à l'adrénaline, la journaliste expérimentée qui doute, réalisant que toute sa carrière n'a servi à rien car elle se trouve réduite à continuer à couvrir ce qu'elle a toujours dénoncé.
Je n'ai pas vu le film, mais je m'intéresse de longue date aux "reporters de guerre", et en particulier sous l'angle du photoreportage. Et j'ai "croisé", dans mes lectures, dans des visionnages de reportage télé et dans des visites d'expo, ces quatre archétypes.
Pour la plupart de ceux dont j'ai entrevus une partie de la vie, grâce à des biographies ou autobiographies, ils témoignent d'une lassitude, qui prend parfois la forme d'un écœurement, parfois celle d'une anesthésie de l'esprit, un glissement vers le manque d'empathie pour se protéger. Et, lorsqu'ils cessent leur activité de photoreporter de guerre, ils se tournent vers des styles totalement différents de photo, davantage tournée vers un regard sur les beautés du monde, à l'instar de Don McCullin, pour n'en citer qu'un.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 16 févr. 2025, 23:32
par kynan²
Usher a écrit : 15 févr. 2025, 08:51 Nous avons vu l'excellent Civil War (2024) d'Alex Garland. Un film d'anticipation efficace et brutal qui prend un relief très particulier en ce début de second mandat Trump.
Si bien vendu que je l'ai regardé hier moi aussi. Bien aimé, une vision effrayante de réalisme, en effet, sauf pour les drones.

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 23 févr. 2025, 08:43
par Oswald
Quelqu'un a-t-il vu The Brutalist ?

Re: La Grande Salle, pour causer cinéma

Publié : 08 mars 2025, 09:29
par Usher
Vu Reality (2023), de Tina Satter. Excellent film, minimaliste, quasi huis-clos, à la fois réaliste et subtilement kafkaïen, et d'une tragique actualité.

Le sujet : Reality Winner, linguiste chez un sous-traitant de la NSA, rentre chez elle après avoir fait des courses. Deux types en chemisette l'attendent sur le pas de sa porte, l'air aussi sympas et propres sur eux que des employés de la série Severance. Ce sont des agents du FBI qui lui demandent poliment de répondre à leurs questions. Accessoirement, ils ont aussi un mandat de perquisition. S'enclenche alors une procédure pleine de tact et de violence refoulée, qui va doucement acculer Reality dans les cordes.

Dès le départ, un carton annonce que l'intégralité des dialogues est la retranscription de l'interrogatoire réel de Reality Winner par le FBI au cours d'une interpellation qui a eu lieu en 2017. Les circonlocutions des deux agents, qui arrondissent les angles, parlent de tout et de rien pendant la moitié du film, mais resserrent implacablement leur emprise sur Reality, ont quelque chose de proprement kafkaïen. Les trois acteurs principaux, avec un jeu tout en retenue (Sidney Sweeney joue Reality, Marchant Davis et Josh Hamilton les deux agents), sont bluffants de présence et d'ambiguïté. La réalisation met tout le film sous tension avec une économie de moyens quasiment épurée. C'est presque du documentaire et pourtant l'inquiétante étrangeté affleure régulièrement dans les dialogues surréalistes, dans le décalage entre les propos et les attitudes et dans la façon dont la censure est figurée par l'effacement intermittent des personnages à l'écran.

Surtout, le film retraçant l'histoire vraie de l'arrestation d'une lanceuse d'alerte sur la collusion entre la première campagne présidentielle de Trump et les services russes, il se révèle d'une tragique actualité. A voir.