Pour ma part, et le contraste sera violent avec "le porno dont D&D est tiré", j'ai achevé l'excellent
La spiritualité au Moyen Âge occidental de André Vauchez.
Sur la période du VIIIe au XIIIe siècles, Vauchez nous en apprend beaucoup sur ce qu'était la religion catholique de l'époque et permet d'abattre les nombreux clichés qui hantent notre imaginaire (et sans doute encore plus quand on est rôliste

). Loin d'être aussi profondément implantée qu'on pourrait le croire, voici les principales choses que j'en ai retenu:
- le religieux doit s'appuyer à de très nombreuses reprises sur le pouvoir séculier, en particulier pour interdire divorce et inceste mais échoue à interdire rapt et concubinage.
- l'ordalie est le moyen de preuve ordinaire à l'égard des hommes libres : le feu, l'eau ou le duel judiciaire
- même dans les régions les plus longtemps christianisées, à l'époque, c'est un vernis sur les superstitions (on ne détruit que ce qu'on remplace semble-t-il)
- sous les carolingiens, le prêtre est ainsi plus un expert des rites et des formules efficaces qu'un homme de prière et de sacrifice
- de fait, les laïcs sont moins intéressés par les prêtres pour leurs connaissances que pour leurs pouvoirs
- beaucoup de paraliturgies font leurs apparitions : on bénit nourriture et instruments de travail, on cherche aussi à se prémunir des catastrophes naturelles, des bêtes et des risques du voyage
- le monachisme s'inscrit dans la suite des mouvements ascétiques
- Il y a un profond écart sépare déjà l'élite lettrée des masses incultes (préjugé confirmé !)
- Devenir moine, c'est refuser le monde et devenir "un homme nouveau" (je cite) destiné à prendre sa place aux côtés de Dieu
- Désirant souffrir pour se rapprocher de la perfection, on s'inflige la souffrance à soi-même en renonçant aux plaisirs. Et plus tard s'en se l'infligeant physiquement avec la flagellation, et plus tard encore en se flagellant en public et à plusieurs.
- Dieu inspire plus la crainte révérentielle qu'un amour hypothétique
- Tout le monde est persuadé que Dieu intervient dans sa vie mais aussi dans celle de la communauté.
- Dieu avant de châtier le croyant, prévient par des messages (astres, visions, miracles).
- la relation a Dieu est une relation de serviteur à Roi, comme on peut l'avoir à un suzerain.
- les femmes adhèrent plus souvent à l'hérésie car celle-ci offre souvent la possibilité de devenir l'égal de l'homme, notamment chez les Cathares. "Fils de cathare ! Fils de cathare !" mis dans la bouche de Boniface par Maurice Druon m'est immédiatement venu en tête.
- "Mariés ou non, les chevaliers de Saint-Jacques pouvaient à bon droit être considéré comme des religieux dans la mesure où ils avaient prononcé des voeux d'obéissance et où ils s'exposaient aux périls du combat dans un esprit de sacrifice", comme quoi l'on peut être marié et religieux même dans le catholicisme.
- ils existent des confréries, les "frères pontifes", c'est un peu la DDE, ils font et entretiennent des ponts et logent les pèlerins.
- On peut devenir serviteur d'un monastère, sainteurs ou cerecensuales, sans être moine. En bref, serf laïc, par nécessité ou piété.
- Mais ces derniers sont différents des oblats, semble-t-il, mais à confirmer.
Dernier point que j'ai trouvé intéressant, c'est la symbolique de la lumière développé par le pseudo Denys l'Aréopagite, où chaque être reçoit une illumination divine selon ses capacités. L'âme humaine est enveloppée dans l'opacité de la matière et aspire à retourner à Dieu, ce qu'elle ne peut faire que par l'intermédiaire du visible, qui selon une hiérarchie réfléchissent de plus en plus la lumière. D'où la décoration des lieux de cultes. C'est un peu l'inverse de ce que condamneront plus tard les réformés.
Une oeuvre assez dense qui m'a beaucoup appris et m'a permis d'éclaircir une période et un thème historiques que je méconnaissais. Comme pour Pastoureau (qui écrit mieux toutefois), c'est un petit bijou où puiser de l'inspiration pour du JDR mais aussi et surtout pour s'ouvrir l'esprit. Je vous le recommande chaudement.
PS : Mes excuses pour l'inventaire à la Prévert, c'est inélégant mais fort pratique.
