Le prochain numéro des Songes a pour thème « A Table ! » et j'ai songé que pour stimuler les contributions, un cadrage – non exhaustif – des thèmes liés à la nourriture et au repas serait utile et attirerait peut-être même des contributeurs.
J'en tirerai un article plus étoffé.
Pour l'instant, je dresse une liste à la volée. J'ai mis quelques images, j'en ajouterai. C'est inspirant les images : la preuve, les concours de scénarios les utilisent !
Convivialité rôliste
Dans la mesure où parmi les plaisirs du jeu de rôle se compte la convivialité, le moment du repas et les échanges de gâteaux sont au moins aussi importants pour la réussite d'une partie que l'élégance d'un système de règles ou la finesse d'un contexte.
Le rôliste a ses madeleines, son « Pschiit Orange » (les Irrécupérables), mais il prend de l'âge et souvent s'embourgeoise, changeant parfois ses habitudes alimentaires. C'est fou, parfois le rôliste désire bien manger. Mais comment concilier les impératifs de temps et la bonne bouffe ?
De l'art de faire tomber le quatrième mur avec de la nourriture
Manger ce que les personnages mangent fait partie des moyens d'immersion. C'est un moyen classique de faire tomber le « quatrième mur », employé au théâtre et popularisé par la compagnie d'Ariane Mnouchkine dans les années 70.
Recettes médiévales, compléments alimentaires en comprimés (il le faut bien, pour la SF !), vaste est le spectre.
Un pas peut être franchi avec la mise en scène de l'absorption de nourriture par des accessoires, l'âme du démon contenu dans la bouteille servie dans une coupe de vin au joueur.
Le festin de Babette : la centralité du repas
Le moment du repas est éminemment social. C'est un rituel crucial dans la plupart des sociétés, régi par des habitudes et une étiquette souvent figées (Le Charme Discret de la Bourgeoisie). Il peut être mis à profit pour régler des affaires, faire voler en éclat des secrets et les étaler à la face de tous (Festen), négocier un important contrat, ou encore séduire (Le Festin de Babette).
Un scénario peut facilement intégrer une scène de banquet et jouer sur les différentes pressions et opportunités offertes aux personnages.
Babette partant à la conquête de la bourgeoisie :
Manquer
Survivre devient un objectif, les rations sont comptées, les maladies suivent. L'homme se révèle. Il peut se sacrifier comme s'abaisser aux pires actions. En situation de famine, c'est toute la société qui s'affole.
Un scénario peut très bien tourner sur la quête de nourriture ou mettre les personnages face à une population affamée.
Ersatz et substituts (pain à la sciure) peuvent être convoqués.
L'économie morale de la foule (E.P. Thomson)
Corollaire du point précédent : il est faux d'affirmer que la société perd toute raison lors d'une famine. Souvent une organisation se substitue aux cadres classiques et attaque les greniers et entrepôts, organise d'une façon empirique des redistributions, recherche les coupables du « complot de famine » pour les châtier. Cette violence est à la fois spectaculaire et très ciblée.
A ma connaissance, aucun scénario de jeu de rôle n'a encore jamais exploité un tel thème de cette manière, et c'est bien dommage.
CannibalismeLe premier tabou qui vient à l'esprit, qui peut être lever non sans honte dans la situation évoquée, est celui du cannibalisme. Dans les situations les plus extrêmes, il arrive que des parents mangent leurs enfants ou réciproquement : il arrive que les parents se tuent pour que les enfants vivent. En cas de guerre prolongée, les chairs mortes peuvent être récupérées et consommées. Dans les exemples historiques, les gens se cachent, toujours, sauf dans les quelques cas de tribus cannibales où il s'agit davantage de rituels que d'alimentation. Dans les dystopies, des sociétés prédatrices se mettent en place (La Route), ou la chair humaine est recyclée (Soleil Vert).
Le jeu de rôle peut servir à confronter à la rupture de ce tabou.
Reprenez un peu de solyent :
Tabous et normes alimentaires
Les religions et plus généralement les normes sociales font une démarcation nette entre ce qui est consommable ou non. Les circonstances peuvent les briser : la guerre peut pousser à consommer le chien, le chat, le rat et les animaux des zoos, fierté de la ville (le siège de Paris en 1870), la disette et l'isolement les animaux proscrits par la religion, et une simple méconnaissance de l'autre. Servir le mauvais plat au mauvais moment peut avoir des conséquences tragiques qui dépassent totalement les deux individus, notamment dans un contexte de relations diplomatiques tendues.
Dans un registre comique, il est possible de jouer sur les malentendus : « mange d'abord les yeux » (la famille Addams)
Et quand les temps changent, il faut parfois changer de régime alimentaire - passer du Big Mac au Bug Mac ou plus déroutant encore...
Corps étranger
La nourriture, l'aliment chaque jour étranger est pour nous un corps étranger. Alors que nous ne connaissons pas grand-chose de lui, nous le laissons entrer mais nous sommes méfiants, parfois à raison. Ne nous change-t-il pas, ne nous empoisonne-t-il pas à petite feu ? Ne nous possède-t-il pas ? « Mange-moi » « Bois-moi » et nous voilà partis tel Alice. Poussé dans une logique de science-fiction, l'aliment peut devenir parasite ou symbiote, faire muter. Dans tous les univers, il peut altérer le comportement, pousser au relâchement des pulsions. Dans un univers réaliste contemporain, l'étrangeté peut résider dans les transformations de l'aliment, dont on ne sait plus s'il est nourriture ou poison etdéjà notre corps ne nous appartient plus : culte de la minceur, anorexie, boulimie, la nourriture devient folie.
Dans des univers aliénant, l'acte de manger ne nous appartient plus.
Charlie Chaplin se fait gaver dans les Temps Modernes et pas une minute de travail n'est perdue :
L'abus de malbouffe vu par Poultrygeist
A la recherche du goût
Se nourrir peut être un plaisir, et son raffinement un art. Compétitions culinaires, quête de l'épice rare, ouverture de routes maritimes vers la cannelle ou l'anis, recherche de maître-queux et mise en scène de leur vie, quête du souvenir d'un goût perdu, les occasions de se lancer dans l'aventure ne manquent pas.
Sur un versant plus sombre, les laboratoires agro-alimentaires mettent au point les techniques permettant d'approcher au plus prêt le « bliss point », ce point magique où le cerveau n'a pas la sensation d'absorber de la nourriture, ce point qui permet d'en consommer à l'infini sans éprouver la sensation de satiété. Il est possible d'imaginer un scénario mettant en scène des luttes d'espionnage industriel entre laboratoires, du lobbying aggressif et l'intimidation d'associations pour la santé publique ou de consommateurs victimes.
Dans les dystopies, où la nourriture courante a perdu tout goût, la recherche d'un goût naturel peut être un enjeu psychologique, ou même politique et on peut aller jusqu'à s'entretuer pour lui. Dans des variantes SF plus légères, l'aliment goûteux fait l'objet de course-poursuite ou de running-gags et le plus souvent s'évanouit sans être consommés après avoir provoqué des conflits (Cowboy-Bebop ou le homard).
Vatel édifiant le temple des rêves :
Excès« En dehors de la bouffe, tout est épiphénomène ». Avec le sexe, la nourriture est l'activité humaine qui se prête le mieux aux débordements, aux personnages de bons vivants les plus haut en couleur. Ils peuvent être triomphants à l'image de Pantagruel, pathétiques et autodestructeurs à l'image des personnages de La Grande Bouffe, voluptueux ou honteux, idolâtrés ou condamnés.
Le biscuit de trop... (le Sens de la Vie)
L'arme alimentaireSur un terrain stratégique, la nourriture peut être une arme de guerre. Détruire pour affamer et exterminer (occupation allemande à l'est de 41 à 43), isoler pour affaiblir (blocus britannique de la première GM), combiner blocus et négociations (« pétrole contre nourriture »). Les exemples sont très anciens : les cités grecques ont souvent comme objectif diplomatique (ou militaire) premier la sécurisation de l'approvisionnement. Les greniers et les ports sont des endroits stratégiques. Les tenir peut permettre de faire basculer un pouvoir ou de mener une révolution. Plus l'environnement est confiné, plus cette importance tactique est grande, que ce soit dans la cité antique ou le complexe souterrain post-apocalyptique.
Et le pistolet sort de l'assiette (Existenz)
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